La décision de l’équipe de production du film Anything de donner à Matt Bomer le rôle d’une prostituée transgenre a relancé le débat sur la pertinence de certains choix de casting dans ce type de situation. L’actrice trans Jen Richards a notamment investi Twitter pour exprimer son indignation.
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Après Eddie Redmayne (dans The Danish Girl) et Jared Leto (dans Dallas Buyers Club), c’est désormais à Matt Bommer d’être choisi pour incarner un personnage transsexuel. Une décision qui a provoqué la colère des figures éminentes de la communauté transsexuelle de Hollywood, pour qui c’est une discrimination supplémentaire dans une industrie dans laquelle il est déjà difficile d’être employé en tant que transsexuel.
Le producteur Mark Ruffalo a particulièrement été critiqué pour son implication dans ce choix qui contredit ses précédentes prises de position en faveur des transsexuels. Trans Hollywood, un groupe de professionnels du monde du divertissement qui représente les transsexuels, l’accuse d’être un beau parleur :
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Traduction : “Mark Ruffalo est un beau parleur auprès de la communauté trans mais quand il s’agit de vrais emplois et d’argent, il engage un homme cisgenre.”
D’autres suggèrent que le problème est beaucoup plus sérieux qu’une discrimination à l’embauche et que le choix d’un homme cisgenre pour jouer le rôle d’une personne trans peut provoquer des violences contre la communauté trans. C’est notamment le cas de l’actrice et productrice trans Jen Richards, qui a “passé des années à observer la violence contre les femmes transsexuelles”, affirme que ce choix de casting “renforce l’idée qu’au fond les femmes transsexuelles sont toujours des hommes”. Jen Richards a développé son propos dans une longue série de tweets, publiée le 28 août :
“Quand Jared Leto a joué Rayon [dans Dallas Buyers Club, ndlr] et qu’il a accepté son oscar avec sa barbe, cela envoyait le message qu’être une femme transsexuelle c’est juste être un homme qui joue la comédie.”
Jen Richards explique que perpétrer cette idée peut entraîner des violences contre les femmes transsexuelles “qui font partie des travailleurs du sexe les plus populaires”. Terrifiés par l’idée d’être potentiellement attirés par un homme, certains clients se montrent violents avec les prostituées pour “réaffirmer leur masculinité”.
Mark Ruffalo s’est exprimé sur la controverse dans le magazine Variety : “L’amour est l’essence même du récit d’une histoire et cela transcende toute discrimination ou politisation.” Toutefois, Jen Richards reste persuadée que si “la liberté d’expression dans l’art est sacrée, les artistes doivent accepter son pouvoir et leur responsabilité”.
Voici la traduction complète de la série de tweets (disponible ci-dessus) de Jen Richards, présentée sous la forme d’une tribune :
“Chers Mark Ruffalo et Matt Bomer, si vous sortez ce film, cela va directement entraîner de la violence contre les femmes trans qui sont déjà en danger. J’ai auditionné pour ce rôle et j’ai dit aux producteurs qu’ils ne devraient pas choisir un homme cisgenre pour jouer une femme trans. Ils s’en foutaient. J’ai déjà expliqué la situation dans plusieurs interviews, mais jamais sur Twitter. Alors allons-y. Les raisons pour lesquelles un homme cisgenre ne doit pas jouer une femme trans.
Premièrement, d’un point de vue pratique et économique cela prive les actrices qui sont vraiment trans d’une opportunité professionnelle, ce qui blesse toute la communauté.
Ensuite il y a l’esthétique. Je suis d’accord en théorie avec le fait que tout le monde peut tout jouer. En tant qu’artiste, je veux cette liberté moi-même mais prendre des acteurs trans pour jouer des personnes trans permet une performance plus authentique et subtile. Soit de l’art de meilleure qualité.
Et c’est tout l’intérêt. Les cisgenres du public félicitent les acteurs cisgenres qui jouent des trans parce qu’ils voient le fait d’être trans comme une performance en soi. Les acteurs trans eux seraient plus concentrés sur le fait de raconter un scénario, pas un genre. Mais tout cela paraît secondaire comparé à la principale raison, qui me donne les larmes aux yeux alors que j’écris ces mots : cela va susciter de la violence envers les femmes trans.
Ce n’est pas une hyperbole, je parle de véritable violence. Des hommes cisgenres qui jouent des femmes transsexuelles, cela provoque des meurtres. J’ai passé des années à observer les violences contre les femmes trans, particulièrement ceux qui en sont les auteurs et leurs motivations.
J’ai parlé à des survivantes. Il y a un schéma. Les hommes hétérosexuels sont attirés par les femmes trans, ils l’ont toujours été et le seront toujours. Nous faisons partie des travailleurs du sexe les plus populaires, c’est un fait. Mais ils ont peur à l’idée qu’avoir des relations sexuelles avec des femmes trans les fassent passer pour des homos, des hommes moins virils. Ils nous recherchent, sont heureux de passer un moment avec nous, et nous punissent parce qu’ils ont peur. Pour être plus claire : ils couchent avec nous, s’inquiètent que ça fasse d’eux des homosexuels, et réaffirme leur masculinité par la violence.
Pourquoi les hommes qui ne sont pas attirés par les hommes, qui ne sortent qu’avec des femmes, pensent qu’être avec une femme trans les rend moins virils, voire homosexuels ? Parce que le monde de la culture dans sa globalité pense toujours qu’en vrai, les femmes transsexuelles restent des hommes. Cela fait des dizaines d’années que nous sommes montrées comme ça à la télé et au cinéma. C’est intégré. Encore et toujours, des hommes hétéros jouent des femmes transsexuelles dans les productions qui ont le plus d’audience, sont récompensés pour ça et disent au monde que les femmes trans sont en fait vraiment des hommes.
Quand Jared Leto joue Rayon [dans Dallas Buyers Club, ndlr] et qu’il accepte un oscar avec une barbe, le monde voit qu’être une femme trans n’est qu’une performance. Quand Matt Bomer joue une travailleuse du sexe trans, il dit au monde qu’au fond, les femmes trans comme moi sont encore et toujours juste des hommes.
Cela va provoquer des violences, pas envers moi vraisemblablement, mais envers celles qui sont le plus exposées. Tous les hommes qui acceptent ça ont du sang sur les mains. Je ne suis pas une activiste hystérique. Je dis tout ça en connaissance de cause. Ces violences arrivent en permanence. C’est une question de vie ou de mort. Les femmes de cette communauté meurent. Je suis une réalisatrice. Pour moi la liberté dans l’art est sacrée. Mais je reconnais aussi son pouvoir et sa responsabilité. Nous façonnons les perceptions. Nous sommes coupables.”
Traduit de l’anglais par Sophie Janinet