En se basant sur le principe de la subvocalisation, des chercheurs ont mis au point AlterEgo, un appareil de communication “télépathique”.
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Écrire des textos ou des tweets sans les mains, rien qu’en formulant le message dans son esprit. Allumer son PC à distance, presque sans y penser. Démarrer sa machine à café – connectée, évidemment — juste avant d’entrer dans la douche, rien qu’en l’imaginant. Oui, avoir le don de télépathie et de télékinésie aurait de quoi faciliter le quotidien – et probablement de transformer nos vies en une suite sans fin de dimanches sur le canapé, mais passons.
Nous sommes en 2018, le progrès est aussi inexorable que la montée des eaux, et à l’heure de la convergence des technologies, les superpouvoirs inaccessibles de notre enfance sont devenus les pitchs des start-up en quête d’investisseurs. Dernier projet en date : AlterEgo, l’appareil qui vous permet de communiquer avec vos objets connectés par la pensée. Tout simplement.
Alors certes, Arnav Kapur et son équipe d’ingénieurs au Massachusetts Institute of Technology (MIT) ne sont pas les premiers à se lancer dans la quête de l’interface cerveau-machine (ICM), loin de là. Cette technologie, aussi appelée interface neuronale directe, est en expérimentation depuis des décennies (feu Stephen Hawking en était d’ailleurs le VRP le plus célèbre) et connaît une marge de progression exponentielle ces dernières années à la faveur de l’explosion de l’IA algorithmique et du développement des neurosciences.
Aujourd’hui, la puissance de calcul contenue dans des appareils de petite taille permet notamment à des animaux de contrôler des bras robotiques et de petits véhicules par la pensée, à des êtres humains de faire de même avec des prothèses mécaniques et à des patients entièrement paralysés de jouer à Pong, tandis que les cartes du cerveau dressées par les équipes de recherche nous permettent d’observer toujours plus précisément les détails de l’architecture de la pensée.
Bref, les ICM ont la cote. Facebook, Google, Apple, Elon Musk : tous les noms les plus clinquants de l’innovation ont leurs projets d’ICM, pour différentes raisons (Musk, avec sa start-up Neuralink, pense que faire fusionner l’humain et l’IA est la meilleure solution pour éviter l’annihilation, par exemple). Généralement, ces systèmes fonctionnent tous peu ou prou sur le même principe : un appareil, implanté sous le crâne ou placé sur la tête, enregistre vos ondes cérébrales.
Un logiciel se charge de les lire, de les décoder, puis de les transformer en langage informatique, qui permettra à l’appareil d’exécuter l’action voulue, qu’il s’agisse de l’Arduino de votre rotule gauche fraîchement remplacée ou de l’interrupteur du salon. Mais le prototype AlterEgo, lui, utilise un autre système pour nous rendre télépathes : la subvocalisation.
Les voix dans vos têtes
Derrière ce terme un poil abscons se trouve une pratique qui nous concerne tous – ou presque, puisqu’elle concerne au moins tout ceux d’entre nous qui savent lire. Et quand on apprend à lire, on le fait généralement à voix haute (si vous avez fait autrement, bravo, vous êtes un mutant). Mais la lecture étant un procédé cognitivement très peu pratique pour ingurgiter de l’information efficacement, notre cerveau s’adapte.
Résultat, quand on grandit, on arrête de tout lire à voix haute – au moins dans les lieux publics, chacun fait ce qu’il veut chez soi —, mais la petite voix, elle, reste. La subvocalisation, c’est donc le fait de prononcer inconsciemment les mots qu’on lit, même sans prononcer de son, et c’est aussi l’ennemie de ceux qui souhaitent lire vite – vraiment, vraiment vite —, comme le rappelait Slate.
Très bien, mais quel rapport avec la télépathie, me direz-vous ? J’y viens. AlterEgo, donc, se présente sous la forme d’un petit appareil inélégant au possible qui vient épouser la forme de votre mâchoire, grosso modo du creux de l’oreille au menton. Pas hyper pratique pour capturer un électroencéphalogramme (EEG), et pour cause : les quatre électrodes de l’objet enregistrent les signaux que votre cerveau envoie à votre bouche en subvocalisation puis les passent à un réseau neuronal, qui se charge de transformer le message en commande à distance.
En pratique, une fois la prothèse branchée, vous n’avez qu’à visualiser le mot de l’action que vous avez en tête, et AlterEgo l’effectuera pour vous. Mieux : l’appareil que vous contrôlez à distance pourra également vous “répondre” en vous envoyant des réponses sonores par conduction osseuse, ce qui supprime le besoin d’un écouteur.
Le futur de l’interaction humain-IA
Résultat : une interface complète entre l’utilisateur et sa machine, entièrement silencieuse, personnalisée et (presque) discrète. Pour le moment, AlterEgo peut contrôler une interface utilisateur basique, comme la plateforme de streaming Roku, mais également sélectionner et déplacer du contenu (comme des fichiers), jouer aux échecs, donner l’heure ou reconnaître des nombres. Selon les chercheurs, le système aurait déjà un taux de précision de 92 % dans la transcription des “pensées”, encore loin des 95 % dont Google Assistant se vante. Le taux de précision de ses homologues Alexa et Siri est équivalent au degré de précision humain, rien que ça.
Mais l’idée, explique Arnav Kapur au Guardian, est justement de faire entrer en symbiose ce genre de prototype avec la puissance des assistants vocaux actuels, soutenus par leur gigantesque base de données, pour que les utilisateurs – vous ou moi — puissent profiter de leurs services et interagir avec l’IA de manière entièrement silencieuse et fluide.
Oui, la technologie est prometteuse. Reste néanmoins un obstacle, et pas le moins costaud : réussir à convaincre le grand public que s’attacher un morceau de plastique à travers le visage ne lui donne pas l’air abruti, alors que les Google Glass ont provoqué un vent de panique et de répulsion à leur sortie. Le mariage humain-IA, OK, mais pas avec une dégaine pareille.