“J’ai regardé un reportage sur France 3 et après ça, j’ai commencé à choper sur Internet.”
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Acheter de la drogue sur Internet est devenu très banal dans l’univers parallèle du Darknet. Considéré comme le marché noir du Web, le Darknet offre un total anonymat à ses utilisateurs. C’est une zone de non droit qui échappe à quasiment tout contrôle, qu’il soit policier ou douanier.
Louis a 25 ans. Ce n’est pas un geek. Il est plutôt beau gosse, branché et c’est surtout un gros fumeur de weed. Depuis maintenant quatre ans, il a pris l’habitude d’acheter son matos sur Internet. Le plus drôle est de savoir comment tout a commencé pour lui :
“Un soir, je suis tombé sur un reportage sur France 3, un genre d’Enquête exclusive. Il montrait comment on pouvait acheter de la bonne weed sur Internet en quelques clics. J’ai regardé le reportage deux, trois fois et j’ai commencé à me fournir via le Darknet.”
Pour pouvoir choper sa weed sur le Web, Louis a donc eu une formation gratuite via le service public. “Pourquoi s’emmerder à appeler un dealer lorsque la qualité et les prix sont au rendez-vous”, m’affirme-t-il. D’après lui, fini les prises de tête et les arnaques à la pelle. Se fournir en drogue via Internet serait aussi simple que de commander un Uber à quatre heures du mat’ ou d’acheter une paire de Nike vintage.
Commander sa weed en pantoufles sur Dream Market
Louis a commencé par télécharger la Rolls-Royce des logiciels permettant d’accéder au marché noir du Web : The Onion Router, aka “Tor”. Il a donc installé un logiciel dont la fonction essentielle est de cacher son activité et son identité. Pour info, celui-ci a été conçu par la marine américaine. Pour l’obtenir, il suffit simplement de taper “Tor” dans une barre de recherche Google, afin de le télécharger gratuitement et en toute légalité.
Et voilà, le tour est joué : vous êtes désormais prêt à acheter de la marchandise illégale dans l’anonymat le plus complet, en seulement deux minutes ! Si vous voulez rester invisible sur Internet, Tor sera votre meilleur ami. Eric, ingénieur en informatique, m’explique que “le logiciel prend les données et l’adresse IP de l’utilisateur et les fait rebondir dans le monde entier”. De cette façon, votre adresse IP pourra aussi bien se trouver à Tombouctou qu’à Las Vegas. Il devient alors impossible pour la police où votre fournisseur Internet de vous localiser et de vous identifier. La porte du darknet vous est ainsi grand ouverte et vous pouvez acheter ce que bon vous semble. Louis m’explique que pour acheter sa weed, il a un site fétiche : Dream Market. Pour vous inscrire dessus, rien de bien sorcier, il vous faut :
- un username (identifiant)
- un password (mot de passe)
- un withdraw Pin : (code à 4 où 8 chiffres)
De la weed de tous les pays
Ce site est une sorte d’eBay de la drogue. Il est très simple d’utilisation et vous pouvez y acheter toutes sortes de came et en grande quantité. Louis me montre méthodiquement comment il procède pour acheter sa weed. Tout d’abord, il lit attentivement chaque description faite par les vendeurs concernant le matos qu’ils proposent. Il regarde ensuite la provenance du produit : il ne veut que du made in France. C’est un peu le Arnaud Montebourg de la beuh. En réalité, il choisit français car les délais de livraison varient en fonction de la géolocalisation du vendeur :
France : 48 heures de délai ;
Europe : de trois jours à une semaine de délai ;
États-Unis : d’une à quatre semaines de délai.
Une fois ces deux critères calibrés, Louis m’explique que c’est avant tout la réputation du vendeur qui déterminera son choix. Les vendeurs sont notés par leurs clients, comme sur Uber ou Amazon. Les commentaires des autres clients vous renseignent sur la qualité des produits, les délais de livraison et le type de défonce de la came. On remarque que le site est construit comme n’importe quel autre site d’achat en ligne. Mieux encore, il est possible d’envoyer des inbox à son vendeur. Via ces inbox, le client peut même négocier les prix !
Pour finaliser votre achat, c’est tout aussi simple. Si le produit vous plaît, il vous suffit de le mettre dans votre petit panier en haut à droite de l’écran et de passer en caisse. Avant cela, n’oubliez pas de passer au bureau de change, car le Darknet n’a qu’une seule monnaie : le Bitcoin. Pas d’euros, de dollars ou de francs CFA, mais bel et bien une équivalence en Bitcoins. Cette monnaie virtuelle et légale assure l’anonymat bancaire à ses utilisateurs.
Tout commence sur l’Internet légal, où des bureaux de change en ligne vous propose de convertir des euros en Bitcoins. Après un virement bancaire, votre argent virtuel est déposé sur un compte électronique. Ce compte fonctionne avec une suite de chiffres et de lettres. Cette suite devient l’identifiant de votre compte Bitcoins, que vous pouvez utiliser sur tous les sites d’achat en ligne du Darknet.
Plus je discute avec Louis, et plus je me rends compte qu’il est incroyablement simple d’acheter des produits illégaux sur le Web. Je dois admettre que je suis épaté par le monde parallèle que je découvre. En quelques clics, Louis vient de me montrer comment acheter 20 grammes de weed, tout en gardant les pieds sous la table. Je m’interroge alors sur les méthodes de livraison et sur la qualité des produits.
Se fournir bien au chaud depuis son canapé, entre deux épisodes de Breaking Bad : le concept est séduisant pour le consommateur. Sans le savoir, La Poste est devenue le premier dealer de France. Louis a fait le choix de recevoir sa weed directement à son domicile. Il m’assure que cela ne craint rien puisqu’il n’y a aucune trace de sa transaction et qu’il n’a donné aucune information personnelle sur Dream Market. Par ailleurs, il prend son air de bobo et m’annonce fièrement que de toute façon l’État Français ne traque pas les consommateurs mais les vendeurs. La weed qu’il reçoit chez lui est enrobée dans des sachets en plastique et mise sous vide.
Des utilisateurs bichonnés
Il arrive parfois que la marchandise reçue ne soit pas conforme à la description faite par le vendeur, même si Louis affirme que c’est très rare – cela ne lui serait arrivé qu’à six reprises. Il alors eu recours à une sorte de service après-vente sur-mesure. En effet, Dream Market bichonne ses utilisateurs au point d’avoir mis en place un onglet “litiges”. Cette option est à la disposition du client pour faire remarquer aux administrateurs du site que le vendeur n’a pas été réglo. Ils étudient alors la plainte du client et peuvent même prendre l’initiative de contacter directement le vendeur en lui demandant de se justifier sur la plainte de son client.
Louis me soutient qu’à chaque fois il a été gagnant et intégralement remboursé par le site. Mieux encore, il lui est arrivé de recevoir des colis de weed gratuitement, si sa commande avait mis plus de temps que prévu pour arriver dans sa boîte aux lettres. Je comprends alors que le site fonctionne avec une véritable démarche de fidélisation et que le business de la drogue en ligne est très lucratif. En enchaînant les lectures de témoignages sur les forums, j’entend un son de cloche unanime : l’administrateur se range quasi systématiquement du côté du client et non du vendeur.
Outre cette forme de confiance virtuelle entre client et vendeur, Louis m’annonce que pour rien au monde, il choisirait de repasser par un dealer de rue. La qualité du produit qu’il achète serait meilleure que celle de n’importe quelle weed parisienne. Les prix y sont très attractifs et les quantités respectées. C’est également la simplicité du service qui l’a séduit, ainsi que sa rapidité et sa discrétion. Il ajoute même qu’il lui arrive “de tomber sur des weeds de ouf qu’il n’aurait jamais pensé goûter un jour dans [sa] vie”.
Le gouvernement totalement à la ramasse
Chaque semaine, des centaines de milliers d’achats de drogue transitent par le Darknet. Les vendeurs se cachent dans les méandres d’un Internet clandestin pour devenir des trafiquants d’une nouvelle espèce : les dealers du Net. Fini les ambiances à la Al Pacino avec des putes et de la coke, place au deal 2.0. En 2016, l’organisme Global Drug Survey a publié une étude à laquelle 100 000 personnes ont répondu à travers le monde. D’après cette étude, près de 12 % des sondés britanniques ont expliqué se fournir sur Internet. L’une des raisons principales : les transactions seraient plus fiables et plus sûres qu’au coin de la rue.
Le think tank Rand a fait une estimation du chiffre d’affaires de ces entrepreneurs d’un nouveau genre. “En prenant comme référence le mois de janvier 2016, le chiffre d’affaires global de ces marchés se situe entre 10,5 et 18,5 millions d’euros par mois”, résumait La Tribune en novembre dernier. Selon Bernard Debré, député de Paris, “il est temps de tirer la sonnette d’alarme”. Bernard Debré c’est ce député qui, en juin 2016, s’était fait livrer de la coke, des champignons et de la weed à l’Assemblée nationale. En faisant cela, il voulait prouver aux autorités qu’en quelques clics il était facile de pécho de la came.
En France, seule une centaine de gendarmes, douaniers et policiers sont formés pour traquer les dealers du Web. Avec plus de 40 000 sites dédiés à la vente de drogue sur le Darknet, autant vous dire que les dealers ont de beaux jours devant eux. Certains se font cependant parfois choper, comme Ross Ulbritch, créateur du site Silk Road. Vous vous posez alors cette question : “Pourquoi les autorités n’agissent pas en prenant le problème à bras-le-corps ?”. La réponse est simple : le Darknet est un monde parallèle, un électron libre que personne ne peut saisir.
Le Darknet, pour le meilleur et pour le pire
Acheter de la weed est une chose, mais le Darknet offre des services bien plus obscurs que celui-ci. Cet Internet parallèle qui a plus de 3 millions d’utilisateurs n’a aucune limite : c’est un peu la poubelle du Web, là où tout ce que l’humanité a inventé de pire est réuni.
Avec la même méthode, vous pourrez tomber sur des offres commerciales délirantes : des armes lourdes à partir de 400 euros, de la TNT, des cartes bleues volées mais aussi des organes à greffer. Toujours dans le délire le plus total, vous pourrez vous attacher les services d’un tueur un gage, rejoindre une communauté néo-nazie ou terroriste, parier sur des combats avec mise à mort ou bien encore consulter des sites pédophiles.
Mais le Darknet est aussi le fer de lance de la liberté d’expression. Il y a certes des cybers délinquants, mais il y a également des citoyens activistes où des journalistes défendant les droits de l’homme. En quelques clics, stoners, pédophiles, terroristes et protecteur des droits de l’homme peuvent se côtoyer sur un réseau commun.