À la conférence F8, Mark Zuckerberg a annoncé que Facebook travaillait sur un système qui permettra de communiquer grâce aux ondes cérébrales. Fou.
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Sur la to do list des ingénieurs les plus brillants de Facebook, dans le discret laboratoire à idées folles Building 8 (lancé l’année dernière par le réseau social pour concurrencer X – anciennement Google X Lab – dans la course au futurisme) figure donc l’ambition d’inventer un système de communication par télépathie. Et dans les deux ans, même. L’annonce a été faite par Regina Dugan, responsable du labo de recherche et développement (R&D) de Facebook, à la conférence des développeurs F8 qui se tient depuis deux jours en Californie.
“Et si vous pouviez écrire directement avec votre cerveau?”, a-t-elle lancé à l’auditoire pour débuter sa présentation, avant d’énumérer les détails techniques du projet : 60 ingénieurs sur le pont pour les deux prochaines années, avec l’ambition de créer un système qui permettrait de retranscrire les pensées en texte aussi facilement qu’un partage de contenu sur Facebook. “Ça paraît impossible, mais on en est plus proche que vous ne le pensez”, a prophétisé Regina Dugan.
Concrètement, Mark Zuckerberg et ses cerveaux réfléchissent à une interface cerveau-machine (ICM), qui capturerait l’activité cérébrale (grâce à des électrodes placées sur la tête ou implantées directement dans le cerveau), pour la retranscrire ensuite en commandes plus ou moins complexes. Ces systèmes, théorisés depuis les années 1970, sont testés sur l’homme depuis un quart de siècle avec des résultats toujours plus probants : une ICM permet aujourd’hui à des sujets handicapés de contrôler des neuroprothèses mécaniques, voire des exosquelettes complets, à la seule force de leur pensée, voire à deux joueurs de disputer une partie de Puissance 4 rien qu’en y pensant.
Cinq fois plus rapide qu’un smartphone… si ça fonctionne
De fait, le concept d’interface de communication “télépathique” rêvé par Zuckerberg existe déjà : en 2015, le Centre de recherche neurolinguistique de Lyon mettait au point un système permettant d’écrire en se concentrant sur une lettre précise affichée sur un écran. Seul problème : la lenteur du système, que Zuckerberg et ses budgets de recherche faramineux promettent d’optimiser. Sous quelle forme, et avec quels résultats espérés ?
Selon Regina Dugan – qui compte également dans son CV un passage par le laboratoire de recherche de l’armée américaine (Darpa) –, le système sur lequel travaillent ses équipes permettrait de taper “5 fois plus vite que sur un smartphone”, avec un objectif de 100 mots par minute, le tout dans un “dispositif portable non-invasif” qui serait “portable” (au sens de vêtement) et “manufacturé à [grande] échelle”. Pas de casque à électrode, pas d’opération chirurgicale, mais un simple vêtement, comme un bandeau de textile bardé de capteurs. “Même une chose aussi simple qu’un moyen de répondre ‘oui’ ou ‘non’ par un clic du cerveau ou un cerveau-souris serait un changement considérable”, précise la responsable de Building 8. Seul problème : la technologie n’existe pas encore réellement.
Car si, nous l’expliquions plus haut, les interfaces cerveau-machine sont un concept éprouvé, on ne connaît toujours aucune méthode pour collecter précisément les signaux cérébraux spécifiques au langage. Dans l’interface textuelle du CRNL, le sujet se concentre sur une lettre et le système l’affiche, mais en décodant les signaux cérébraux relatifs à la vision, pas au langage. À l’heure actuelle, une technologie non-invasive qui décoderait les signaux cérébraux nous permettant de penser à un mot juste avant de moduler notre bouche pour parler n’existe pas, et il faut donc inventer un protocole entièrement inédit.
Vers un traducteur universel ?
Selon la MIT Technology Review, la tâche herculéenne a été confiée à Mark Chevillet, professeur de neurosciences à l’université Johns-Hopkins. Selon lui, les pistes explorées par Facebook impliquent de décoder les signaux cérébraux en utilisant des LED ou des lasers pour “sentir” l’activité cérébrale, à la manière d’une technique d’imagerie médicale appelée spectroscopie proche infrarouge. Ce que souhaite Facebook reste néanmoins triplement compliqué : premièrement, il s’agit de récupérer et d’identifier les signaux cérébraux du langage et de les transformer en texte ; deuxièmement, de le faire via un système non-invasif ; et troisièmement, d’effectuer tout ça en temps réel ou presque. Mais si les équipes de Building 8 y parvenaient, les applications seraient potentiellement gigantesques.
Déjà, en 2015, le milliardaire fondateur de Facebook qualifiait la télépathie de “moyen de communication ultime” et envisageait le futur de son réseau social sous cette forme. Effectivement, écrire des mails et des messages instantanément par la pensée suppose un gain de temps absolument extraordinaire – cela dit, bonne chance pour séparer les pensées que vous voudriez transcrire en messages du chaos qui vous traverse l’esprit à chaque seconde –, mais Mark Zuckerberg et Building 8 voient encore plus loin : avec une telle technologie, la réalité virtuelle deviendrait plus fluide, les malades d’ALS pourraient communiquer normalement et les barrières de la langue s’effondreraient car le monde aurait enfin son traducteur universel. Regina Dugan en est persuadée : “Un jour, pas si lointain, il sera possible que je pense en mandarin et que vous les receviez instantanément en espagnol.”
À y regarder de plus près, l’idée que Building 8 parvienne à ses fins est tout bonnement terrifiante. Imaginez un monde dans lequel votre cerveau est perpétuellement écartelé entre les nécessités du monde réel – les interactions, le déplacement, la perception de votre environnement – et les distractions permanentes du virtuel. Imaginez-vous répondre à vos notifications en y pensant. Imaginez discuter avec une personne réelle, en face de vous, en sachant pertinemment qu’une partie de ses pensées est concentrée sur autre chose. Imaginez une société dans laquelle l’attention exclusive est un concept dépassé, vos systèmes cognitifs constamment démultipliés par différents niveaux de réalité simultanés. Enfin, si la perspective de voir Facebook, dont l’une des premières sources de revenu est la monétisation de vos données personnelles, se doter d’un dispositif de décodage de vos pensées vous inquiète, vous avez parfaitement raison : Regina Dugan a beau avoir pris les devants en jurant qu’il ne s’agit pas de ça, peut-on imaginer un seul instant le conglomérat ne pas ouvrir le coffre de notre cerveau pour le piller ?