Le 9 mai, comme prévu, les sénateurs américains ont déposé une pétition demandant un réexamen des règles de suppression de la neutralité du Net.
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Et si le système légal américain permettait de restaurer la neutralité du Net ? Le 9 mai, soutenus par Reddit, Tumblr et une cohorte de plateformes du Web, 33 sénateurs du camp démocrate ont déposé une pétition de retrait contre la réforme de la neutralité du Net. Passée le 14 décembre dernier par la Federal Commission of Communications (FCC) et son président Ajit Pai, la réforme qui mettait fin au principe de neutralité et d’égalité d’accès aux services avait provoqué l’effroi des grands acteurs du Web et des activistes de la liberté de naviguer pour tous. Et si, lors de l’officialisation des nouvelles règles, beaucoup estimaient que la guerre était pour de bon perdue, il semble que la complexité du système législatif américain laisse encore un espoir à ceux – dont nous faisons partie – qui prennent fait et cause pour la restauration du Net neutre.
En vertu du Congressional Review Act (CRA), un outil de supervision des agences fédérales, le Congrès américain possède le pouvoir de revoir, sous 60 jours législatifs (soit les jours de session du Congrès) et dans le cadre d’un processus législatif accéléré, les nouveaux règlements publiés par les organismes gouvernementaux et, moyennant l’adoption d’une résolution commune entre le Sénat et la Chambre des représentants, de les abroger.
Une fois les règles abrogées, elles ne peuvent plus être émises à nouveau, que ce soit sous la même forme ou sous une forme différente mais à but similaire. En gros, les sénateurs démocrates jouent à quitte ou double : si cette procédure aboutit, non seulement les règles anti-neutralité seront abrogées, mais elles ne pourront plus être promulguées sous leur forme actuelle à l’avenir. Si la procédure échoue, en revanche, c’en est fini pour de bon – du moins jusqu’à la prochaine administration.
Et cette pétition ne sort pas de nulle part, bien au contraire : le 27 février dernier, cinq jours après la publication des nouvelles règles de la FCC dans le registre fédéral, le sénateur démocrate Ed Markey enclenchait le processus de retrait en présentant la résolution CRA et interrogeait, sur Twitter, ses collègues députés : “Dans quel camp êtes-vous ?”. Trois mois plus tard, à l’heure de déposer officiellement la résolution CRA, Ed Markey peut faire les comptes : 50 sénateurs dont un républicain veulent engager le processus de réversion. C’est techniquement insuffisant pour faire passer la résolution au Sénat (il faudrait… un élu de plus), mais le vote aura bien lieu, probablement “la semaine prochaine” selon les rapporteurs du CRA. Une première victoire… qui pourrait aussi être la dernière.
Ce n’est pas gagné
Car soyons réalistes, si l’abnégation de certains sénateurs fait plaisir à voir, la fronde a néanmoins peu de chances d’aboutir. Pour parvenir à renverser les règles d’Ajit Pai et revenir à celles définies par l’Open Internet Order, modifié par l’administration Obama en 2015, et ainsi interdire formellement le blocage, le ralentissement ou la priorisation d’accès à Internet en fonction de l’abonnement souscrit, il faudrait que le Sénat vote cette résolution la semaine prochaine, avant que la Chambre des représentants ne le fasse à son tour.
Premier problème : si dans les deux chambres, les résolutions doivent être votées à la majorité absolue pour être adoptées, le Sénat compte 47 sénateurs démocrates et 2 indépendants rattachés au parti contre 51 sénateurs républicains, tandis que la Chambre compte 193 démocrates (plus 4 sans droit de vote) contre 238 républicains (plus 2 sans droit de vote). Pour atteindre la majorité absolue dans le deuxième cas, il faudrait donc que 25 députés républicains votent pour. Et même si l’impensable se produisait, il faudrait alors la signature de Donald Trump himself… qui avait promis à ses électeurs – et aux grands fournisseurs d’accès à Internet américains – de faire disparaître la neutralité du Net.
L’opinion publique majoritairement favorable à la neutralité
Autrement dit, rien n’est gagné, mais il est encore possible d’espérer : les sénateurs démocrates ont une semaine pour trouver un 51e votant dans le but d’envoyer la résolution à la Chambre, où la partie sera autrement plus corsée. Mais la résolution peut compter sur un soutien populaire conséquent aux États-Unis, où l’immense majorité de la population (83 %, selon un sondage mené en décembre 2017) est encore fermement en faveur de la neutralité du Net, peu importe sa sensibilité politique.
Et si ça ne suffisait pas, plusieurs grandes plateformes du Web, directement concernées par la réforme de la FCC, ont lancé le 9 mai dernier l’opération Red Alert. Mise en place via le collectif Battleforthenet.com, qui regroupe des entreprises du Web et des activistes de la liberté de naviguer, elle affiche en haut des pages d’accueil des bannières de sensibilisation aux enjeux du combat en cours dans le but d’alerter l’opinion américaine et tenter de peser sur les décisions à venir. Un lobbying de la dernière chance qui nous offre, au moins, le droit d’espérer.