Lionel Prado revient d’un trek dans la chaîne himalayenne du Manaslu au Népal, qui lui a inspiré son reportage photo intitulé Un nouveau souffle. Voyage onirique au cœur d’un territoire sauvage et immaculé qui cache l’une des espèces les plus rares de la planète : le léopard des neiges.
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À 26 ans, Lionel Prado a quitté son job en agence de communication et s’est mis en freelance afin de s’accorder du temps pour voyager et se lancer pleinement dans la photo de nature. Inspiré par la proximité des Alpes, et notamment le parc du Mercantour, ce Niçois passionné de paysages montagneux nous livre son regard sur la photographie et son rapport à la nature.
L’occasion pour aborder en filigrane la thématique de la quête dans le voyage, celle du léopard des neiges, ce félin mystérieux – mais aussi de soi-même. Plongée dans un périple de trois semaines au cœur d’un décor pur et silencieux, où l’homme s’efface derrière le gigantisme de la nature.
Konbini | Peux-tu nous parler de ta démarche artistique ?
Lionel Prado | J’ai grandi dans un petit village du Sud de la France et depuis toujours je suis sensible à la nature. C’est une cause qui m’intéresse et que je défends. Je fais de la photo depuis quatre ou cinq ans en ayant commencé par des sujets “lifestyle” avec des amis. Puis très vite je me suis senti bridé. Alors j’ai voulu être plus libre dans ma démarche photographique et me suis tourné vers la nature pour être indépendant.
Je travaille avec un appareil photo Canon 5D qui me permet de faire des images en très basse lumière. Mon but est de restituer l’image. Donc je travaille comme en argentique, je ne rajoute pas d’éléments, ni de couleurs, et j’évite de recadrer. J’essaye de toucher au minimum l’image et je me concentre surtout sur la luminosité pour faire ressortir des blancs et des noirs.
Quel visage de la nature souhaites-tu montrer dans ton travail ?
J’aime chercher des ambiances assez pointues, que l’on ne voit pas tous les jours. La nature vue différemment en quelque sorte. J’essaye de montrer des scènes contemplatives, pour sensibiliser ceux qui sont un peu déconnectés de tout ça. Pour ceux qui vivent en ville et n’ont pas l’occasion d’aller dans la nature, qui ne la connaissent plus, ou qui la connaissent seulement via des livres.
C’est ainsi que je me suis lancé dans le reportage Un nouveau souffle : pour mettre en avant des peuples qui vivent en accord avec la nature, qui cultivent la terre avec des bons procédés, un peu à l’opposé du système industriel que l’on a en Occident. J’essaye aussi de mettre en avant la cohabitation entre l’homme et les grands prédateurs. Par exemple, je suis très sensible au sujet du loup, revenu sur les lieux d’où il avait été exterminé, car cela explore pas mal de thèmes, notamment celui de savoir si on doit favoriser l’homme où la nature.
Parle-nous de ton reportage photo Un nouveau souffle, réalisé dans l’Himalaya : comment cette idée t’est-elle venue ?
J’ai développé un fort attrait pour le milieu alpin ces dernières années et je souhaitais voir des montagnes différentes. Ceci dit, quand je fais des photos dans le parc du Mercantour, on pourrait croire que c’est loin alors que c’est seulement à deux heures de Nice. Et je constate que les gens ne savent pas ce qu’il y a dans ces montagnes car ils n’ont plus l’occasion de s’y rendre.
J’ai choisi d’aller au Népal en particulier parce que j’avais vu pas mal d’images des populations locales et cela m’intéressait de découvrir leur façon de vivre. J’étais aussi attiré par le côté spirituel de ce pays, où la vie a de la valeur parce que les gens ont pleinement conscience de la mort, ils n’essayent pas de la cacher comme on le fait en Occident.
J’ai choisi la région du Manaslu plutôt que celle de l’Annapurna, qui est plus touristique. Le Manaslu est plus réglementé, il faut se déplacer avec un guide et c’est un coin plus préservé. J’ai essayé de m’isoler pendant le trek, et d’avoir des journées de libres pour aller dans les montagnes, situées à deux ou trois heures du village pour capturer des ambiances comme j’ai l’habitude de le faire.
Une lumière très pure ressort de tes photos : est-ce ton style ou bien cela t’a-t-il été inspiré par le Manaslu ?
J’aime beaucoup ce qui est minimaliste, quand la photo est pure, pas trafiquée, facile à comprendre. Et la brume aide à ça. J’essaye de trouver des ambiances assez légères et j’ai beaucoup été influencé par Vincent Munier qui fait beaucoup d’images avec du blanc. Il m’a montré qu’on peut faire des photos d’animaux sans être dans l’identification, mais plus dans l’artistique.
Durant ton voyage tu as été hébergé par des locaux, quelle expérience tires-tu de ces rencontres ?
Quand tu fais un trek là-bas, tu vis dans des “lodges” gérés par les locaux ou chez l’habitant. Il y a des moments qui m’ont marqué et cela m’a amené à introduire la notion de reportage et de remettre l’humain dans mes images. Après, je ne suis pas dans la démarche de faire des photos des gens sans les connaître. Je préfère faire des rencontres et, pourquoi pas, ensuite faire une image. Mais pour moi, la photo vient vraiment après pour retracer des échanges, des rencontres et avoir une forme de respect plutôt que d’agir comme dans un zoo.
Cette série photo sonne comme une ode à la nature… Pourquoi l’as-tu intitulée Un nouveau souffle ?
Parce que j’étais resté deux ans dans les Alpes françaises et je n’avais jamais vraiment vu de nature étrangère. J’avais déjà voyagé mais je n’avais jamais été en immersion dans la montagne ailleurs que dans les Alpes. Et du coup, pour moi, c’était vraiment un nouveau souffle. En plus, là-bas, tu es dépaysé, c’est une culture avec des valeurs pures.
Qu’est-ce qui te fascine dans les grands espaces montagneux ?
Je suis plus montagne, il y a un côté élévation qui me parle. Quand tu randonnes, tu avances, tu marches, tu montes. Ta pensée se construit quand tu es dans l’effort avec tout un mécanisme qui s’opère et, quand tu arrives au bout, tu ressens comme une plénitude. Ça t’apporte un sentiment de bien-être parce que tu es dans des paysages vastes et, dans l’Himalaya, tu es face à l’absolu : si tu regardes en l’air tu ne vois pas le sommet, et ça me parle. Comparé à la ville, où tu étouffes, c’est vraiment l’opposé donc ça permet de respirer.
Ce reportage et ce voyage en général évoquent la solitude et les grands espaces : est-ce un fantasme ?
Oui j’aime beaucoup la solitude car cela permet d’assumer ses rêves. Je pense qu’il y a beaucoup de personnes en société qui n’arrivent pas à aller au bout de ce qu’elles veulent faire. Parce qu’ils sont bloqués par leur entourage qui leur dit “non, c’est dangereux”… Je l’ai vu un peu avec ma démarche : on m’a d’abord découragé, puis je suis allé de l’avant, j’ai fait mon truc, et au final j’ai des bons retours.
Donc, je pense qu’il faut aller au bout de ses idées mais pour ça, t’es obligé d’être seul. Tu peux t’entourer de gens pour réaliser des projets mais quand tu as une idée en tête et que tu veux créer quelque chose, il faut le faire soi-même. C’est d’ailleurs le thème évoqué dans le court métrage Introspection [dont la sortie est prévue en 2017, ndlr], réalisé dans le Mercantour avec des amis de Nice, qui est axé sur la recherche de soi et l’émancipation, deux sujets qui me tiennent à cœur.
Quelle est la plus belle image que tu gardes de ce voyage ?
Je pensais que j’allais avoir des lumières très intenses et quand je suis arrivé à Katmandou, il y avait beaucoup de brume et on ne voyait pas le ciel. J’avais une attente donc j’ai été un peu déçu. Mais quand, pour la première fois, j’ai enfin vu une lumière très intense dans le creux d’une montagne qui sortait de cette brume comme du chaos, j’ai ressenti une certaine émotion. C’était fort comme ambiance. Sinon je n’ai pris qu’une seule image verticale, que j’aime beaucoup car elle est légère et graphique. Et les rencontres avec les vautours aussi étaient très fortes, car ils étaient spectateurs, dans l’attente de voir si leurs proies allaient mourir ou pas pour pouvoir se nourrir.
Parlons du léopard des neiges : du coup, tu l’as trouvé ?
Évidemment que non, je ne l’ai pas trouvé ! Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Du coup j’aimerais partir au Cachemire et je suis en train de faire des recherches pour y aller un mois l’année prochaine et m’entourer de personnes qui pourraient me donner des indices de sa présence parce que l’on ne va pas me mâcher le travail ! Quand tu fais de la photo animalière, tu dois faire pas mal de recherches en amont, de la cartographie au terrain, avant de faire une image. L’image c’est 2 % du travail et ça vient à la fin. Il faut beaucoup observer et être attentif.
Le léopard des neiges ne serait-il pas plutôt un prétexte qu’une fin en soi ?
Oui, carrément. Mais, moi, je ne peux pas voyager pour voyager, si je pars quelque part je dois avoir une idée en tête. Et le léopard c’est un animal qui m’a toujours attiré, c’est mystérieux. Le fait d’être sur ses traces, ça te pousse à rencontrer des gens et à leur parler et, en fait, tu crées toute une histoire autour de ce thème. Or, au final, le léopard ce n’est qu’une petite partie. Donc oui, si tu veux, ça peut n’être qu’un prétexte.
C’est assez onirique comme prétexte, parce que tu aurais pu choisir quelque chose de plus simple que de partir en quête d’un animal quasi introuvable …
Derrière l’image du léopard, je vais surtout faire d’autres photos et développer d’autres projets. Si je suis parti avec le léopard en tête, c’était aussi parce que j’avais envie de voir d’autres choses. Si tu vas par-là, la photographie est un prétexte qui me pousse à voyager, à faire des choses et à sortir de chez moi. Ce n’est donc pas la finalité en soi qui compte.
Retrouvez le travail de Lionel Prado sur son site officiel, et plus d’information sur le court métrage Introspection sur la page Facebook qui lui est dédiée.