Jusqu’ici tout va bien.
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Oubliez Trump, oubliez les antiféministes, oubliez les “dérapages” tombant sous le coup de la loi de Cyril Hanouna, oubliez la proposition de suppression (après intense utilisation) du 49-3 par Manuel Valls, oubliez l’État islamique et ses funestes attaques, oubliez la droite sombre, rigoriste et austère de François Fillon, oubliez Laurent Wauquiez, oubliez la fermeture des esprits invoquée par le Front national, oubliez l’association Promouvoir qui a réussi à voir en Sausage Party le fruit pernicieux de Satan, oubliez ce camion qui fonce dans un marché de Berlin, oubliez ce miroir déformant qu’on appelle racisme, oubliez que de plus en plus de jeunes homosexuels sont virés de chez eux, oubliez Marion Maréchal-Le Pen et son revival moyenâgeux de la condition féminine, oubliez le harcèlement ordinaire, oubliez Alep, oubliez le taux de chômage qui baisse pour une catégorie mais augmente dans trois autres. Ça fait beaucoup, hein. On passe à autre chose ?
Et une bonne année 2017 !
Oui, la mémoire est une matière qui s’adapte difficilement aux réseaux sociaux, à cet océan qu’est l’actualité. Face à nous, l’intensité des tweets, posts, statuts, vidéos d’une minute, émotions de 30 secondes, réponses de 15 secondes, coup d’œil d’une demi-seconde. Notre attention a été absorbée par un flux, ne permettant pas de la transformer en réflexion. Pour autant, un sentiment s’évapore de toute cette atmosphère formulée par l’urgence des mots et l’incapacité de réaliser ce qu’ils veulent vraiment signifier : sachez-le, et même quand on dépasse les joyeux “bonne année” énoncés aussi automatiquement qu’un glacial “salut”, que ce sentiment est négatif, sombre, donc logiquement peu enthousiasmant. Alors quand on balance et reçoit depuis ce dimanche minuit et une minute des vœux à tout va, on est dans l’euphémisme quand on pense que le cœur n’y est pas.
Tout ira bien. Comme disait ce cher Hubert :
“Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : ‘Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien.’ Mais l’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage.”
Et une bonne année 2017 !
Il est intéressant de voir comment ce monologue, égrené à travers une voix off calme dans La Haine, est devenu aussi populaire chez les 15-30 ans. Si un film de 1995 décrivant une France divisée dans une cité fictive continue d’avoir une portée, une pertinence, vingt-deux ans après sa sortie, c’est qu’il y a un sérieux problème qu’on n’a jamais voulu comprendre, entendre, résoudre et tout ce genre de verbes utilisés quotidiennement par la classe politique. Car lorsqu’une référence culturelle façonnée par Mathieu Kassovitz symbolise un tel état d’esprit, il faudrait se pencher dessus, savoir ce qu’il en est, comprendre ses origines, tenter de formaliser une réponse rationnelle. Certains ont déjà des arguments, des informations, des actualités qui leur viennent en tête. D’une situation qu’ils vivent. Parce que 25,1 % de chômage chez les jeunes, si l’on exclut les étudiants, les lycéens et les stagiaires, un chômage devenu l’objet d’une prière du pape tant il est stratosphérique. D’il y a quelques années. Parce que les émeutes de 2005. D’il y a quelques jours à peine. Parce qu’Adama Traoré. De maintenant, tout de suite. Parce que le réchauffement climatique. Parce qu’absence de perspectives et, soyons naïfs, d’espoir. Parce qu’une classe politique loin des réalités qui aime souffler sur les cendres de polémiques secondaires sinon futiles.
Et une bonne année 2017 !
Car sous un prisme déprimant et aussi réaliste qu’un film de Thomas Vinterberg régi par le Dogme95, nous aurons droit cette année aux onze premiers mois de la présidence Trump – qui a déjà quelques difficultés à trouver une star pour chanter son entrée à la Maison-Blanche –, une élection française qui verra des candidats se battre pour choper le vote dit “populaire” à base de petites phrases visant quelques communautés bien précises (au hasard : les musulmans, les médias, les immigrés, les “assistés sociaux”, les chômeurs, etc.), quelques mois après les terribles événements qui ont marqué la France, de Nice à Paris, du Bataclan à la promenade des Anglais. Un corpus idéologique nauséabond dans lequel on ne risque pas de se retrouver. “On” ? C’est “nous”. “Nous” ? Les “jeunes”, clairement oubliés des débats, mis à l’écart.
Et une bonne année 2017 !
Il suffit de jeter un coup d’œil aux programmes des différents candidats à l’élection présidentielle. Vous ne trouverez presque aucune référence à cette catégorie de population tellement décriée, si peu représentée dans les cénacles, et affublée de tous les clichés possibles. Elle ne travaille pas, râle, ne fait rien pour son pays, est scotchée sur son iPhone, incarne le vide de notre civilisation, se prête chaque jour, encore et encore, à consommer, s’amuser, se divertir. Il suffit de faire un tour sur Internet, au hasard des millions de pages proposées par Facebook, et de tomber sur un article du Point, relayant une intervention de 15 minutes guidée par un certain Simon Sinek, professeur és vie, pour se dire qu’on ferait mieux de se tirer une balle plutôt que de vivre : nous serions ainsi narcissiques, déconcentrés, impatients, égocentriques, sous la banderole “millennials”, cette fameuse génération née après 1994. La faute à notre éducation, à nos parents, à nos employeurs. Ça, c’est bien la vision qu’une certaine classe d’âge, parfois politisée, parfois politique, possède à notre égard.
Et une bonne année 2017 !
Une génération qui n’a jamais été aussi semblable que diverse, aussi heureuse que déprimée. Une génération à plusieurs vitesses, laissant collectivement cours à un véritable manque de confiance dans la politique, prête à voter blanc, donnant facilement du crédit aux dernières paroles d’une jeune ex-punk canadien qui dit dans son morceau “The Magician” : “Oh fools, the magician bends the rules as the crowd watches his every move.” Le magicien est le politique, la foule probablement des futurs électeurs. À l’extérieur, nous, cette génération qui manque à l’appel lorsqu’il s’agit d’être identifiée, comprise, alors que les stars des Trente Glorieuses disparaissent une à une dans une avalanche de nécrologies. Et si on passait à autre chose ? Et si on se décidait à nous inclure ? Et si quelqu’un venait, enfin, nous appréhender pour mieux venir nous chercher ? Et si c’était à nous d’agir ?
Et une bonne année 2017.