Lors de son défilé automne hiver 2015-2016 de Milan, Dolce & Gabbana a encore une fois célébré les rapports familiaux avec une collection réinventant la figure de la “Mamma” italienne.
Attention touchante à première vue, le défilé Dolce & Gabbana automne-hiver 2015-2016 célèbre la mère. Les créateurs exposent l’amour qu’ils portent à celles qui les ont mis au monde avec des vêtements ornés de “Je t’aime maman” ou des broderies mettant en scène une mère et ses enfants.
Le défilé, bien qu’apparemment innocent et bien intentionné, est pourtant symptomatique d’une réelle persistance du rôle socialement créé qui incombe encore à la femme. Modèles enceintes ou bien défilant avec leur enfant, tout est pensé afin d’associer la figure féminine à la maternité.
Pourtant la fonction maternelle n’est en rien essentielle à l’existence féminine contrairement à ce que la société continue de laisser penser notamment dans l’Italie toujours très ancrée dans la religion chrétienne, où l’existence féminine est souvent réduite à sa maternité et son corps uniquement destiné à enfanter.
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La maternité, gage de respectabilité
Dans la littérature comme dans les représentations artistiques, les femmes sont très régulièrement soumises à la classification binaire mère/fille de mauvaise vie. Alors que cette dernière est dénigrée et rabaissée, à l’image de Marie-Madeleine, Sainte patronne des prostituées que la Bible décrit comme une pécheresse, la mère est élevée à un statut quasi-sacré et acquiert une respectabilité en même temps qu’elle entre dans la maternité.
C’est ce qui est communément nommé le paradigme de la Madone et la putain qui gangrène l’indépendance féminine et la liberté de choix. Soumise au jugement de ses pairs, la femme est parfois contrainte de rentrer dans les rangs afin d’échapper à l’image de la pécheresse. La “putain” n’est pas forcément définie comme telle de par son rapport à la sexualité mais par opposition au côté “sacré” conféré par l’imaginaire collectif à la figure maternelle. Cependant, socialement il est plus acceptable que les femmes se rangent avec l’âge du côté de la maternité.
La dichotomie est si ancrée dans les mœurs qu’elle est entrée dans la culture populaire, notamment avec le film de Jean Eustache, La Maman et la putain qui met en scène les deux différentes représentations féminines dans un film de 1973 décrit comme l’un des classiques du cinéma français.
Réductrice, cette définition tend à affecter la femme au rôle de reproduction en niant sa sensualité lorsqu’elle devient mère ou à l’objectiver et n’en faire qu’un simple objet de désir quand elle déroge au schéma maternel.
Le cliché persistant de la mère sacralisée
Une féminité incomplète sans enfant ?
“Femmes sans enfant, femmes suspectes” titrait Arte pour son documentaire diffusé le 28 novembre 2014, retraçant le parcours de femmes qui ne sont pas, pour une raison ou une autre, devenues mères. C’est bien le sentiment que s’emploie à donner les normes sociales à celles qui n’ont pas d’enfant, d’autant plus que cela relève d’un choix et non d’une incapacité à procréer.
La pression sociale est au centre du problème. Les proches s’impatientent et font sans cesse référence à la maternité future d’une femme, l’entourage insiste sur un “ça va venir” qui ne se fait pas attendre quand une femme manifeste son envie de faire sa vie sans enfant. Le marketing ainsi que les représentations diverses de la femme ne sont pas en reste puisque chaque jour de sa vie, la femme est confrontée à la norme de maternité que lui imposent les médias et les industries artistiques et publicitaires.
Alors que la proportion d’hommes n’ayant pas d’enfants augmente de manière significative, peu de rappels à la paternité s’offrent à la population masculine dans la vie quotidienne. Bien sûr, la norme pèse, cependant, souvent présentés comme des individus indépendants, les hommes sont rarement associés à leurs enfants.
La société est intrusive, quasiment invasive pour les femmes qui n’ont pas d’enfant. “Socialement, c’est très fort, les gens pensent que je ne suis pas finie. Comme si je n’étais pas allée jusqu’au bout de ce qu’on attendait de moi“, confie l’une d’elle au Figaro. Comme si la maternité était un aboutissement, une finalité dans la vie de ces femmes, le monde extérieur rappelle sans cesse le jugement que la société porte sur elles.
L’impossible absence de désir d’enfants ?
5% d’hommes et de femmes témoignent d’une absence de désir de parentalité et ces derniers sont sans cesse rappelés à l’ordre par l’utilisation des codes sociaux sexistes, souvent appuyés par une dimension émotionnelle, utilisés par les médias, la publicité etc.
Jusqu’aux séries télévisées, le cadre social est normé et appuie la normalité de la maternité. La célèbre série télévisée Desperate Housewives avait choisi de mettre en scène le personnage de Gabrielle Solis, femme au caractère fort manifestant dès le début un rejet de la maternité. Pourtant, après quelques saisons, celle-ci s’y résout et finit par accepter et aimer son statut de mère, et rares sont les personnages qui y résistent.
Les comportements sociaux doivent se plier à la norme afin de ne pas être marginalisés. Ainsi, une femme qui n’a pas d’enfant sera toujours suspecte. “Les gens aiment à croire que les femmes qui n’ont pas d’enfant sont déprimées” confie un témoin dans le même article du Figaro Madame.
La femme peut avoir un désir de maternité, le phénomène est même majoritaire. Pour autant, les représentations sociétales la cantonnant très souvent au rôle de mère accentuent la pression normative qui pèse sur ses épaules. En perpétuant cette image de la femme-mère, Dolce & Gabbana contribue ainsi à la persistance des injonctions sociales qui réduisent les femmes à leur fonction de procréation.
Le défilé, mâtiné de stratégie marketing puisqu’il promeut en même temps les collections pour enfants de la marque, n’est cependant pas le seul à exploiter l’image maternelle. D’autres marques ont déjà fait défiler des mannequins enceintes, à l’image de Temperley London lors de la dernière Fashion Week de Londres.