Grâce à un outil d’anticipation basé sur l’étude de données, la CIA annonce pouvoir désormais prédire les mouvements sociaux. Minority Report, en somme.
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Quand la CIA a annoncé, en mars 2015, que l’agence montait un “pôle d’innovation numérique”, on pouvait légitimement s’inquiéter pour l’utilisation qu’elle comptait faire des données déjà à sa disposition. Dix-huit mois plus tard, on a au moins un début de réponse : l’agence développe des systèmes de prédiction des troubles sociaux, et il a l’air de très bien fonctionner. Le 5 octobre, au salon Next Tech, le directeur de ce nouveau pôle, Andrew Hallman, a vanté les mérites de son système. Il a expliqué qu’en diverses occasions, celui-ci avait déjà été capable de prévoir l’émergence de mouvements sociaux plus de cinq jours à l’avance.
Ce que la CIA essaie de faire, explique Hallman, c’est “de tirer profit de ce que les sciences sociales nous apprennent sur le développement de l’instabilité, des coups d’État et de l’instabilité financière, ainsi que ce que l’on a appris les six ou sept dernières décennies, et exploiter ce qui devient l’instrumentation du globe”. En français, cela signifie que la CIA analyse à la fois des flux, comme par exemple les déplacements de personnes particulières ou de biens de contrebandes, mais aussi d’énormes quantités de données, obtenues par la surveillance permanente des réseaux sociaux.
Elle les fait ingérer à des réseaux neuronaux qui se chargent de voir des logiques qui échappent à l’œil humain. Pour étoffer son programme, détaille Hallman, l’agence a également recours à des outils open source, qui permettent de nuancer l’analyse de la machine. Et apparemment, ça fonctionne. Prévoir une instabilité à l’échelle nationale cinq jours à l’avance, lorsqu’on a des moyens comparables à ceux de la CIA, est un avantage tactique inestimable.
Ça fonctionne déjà (un peu) avec les épidémies
Le résultat, que la CIA appelle “l’intelligence anticipatoire” (IA), n’a rien de nouveau. À vrai dire, l’agence ne fait que recycler un concept déjà utilisé par des dizaines de start-up dans des domaines aussi variés que la prédiction des crimes, des tremblements de terre ou des embouteillages. Toutes en sont encore aux balbutiements, y compris Google : en 2008 (une éternité), l’entreprise lançait Flu Trends, une suite d’algorithmes qui visait à prédire l’émergence d’une épidémie de grippe en analysant le trafic de son moteur de recherche. Une innovation incroyable pour l’époque… et un échec retentissant : en 2013, le programme manquait de prédire, et même d’identifier, une hausse spectaculaire des contaminations. L’IA venait de rater un éléphant dans un couloir.
Sauf qu’en huit ans, l’intelligence artificielle a accompli des progrès gigantesques. Aujourd’hui, la prédiction épidémiologique fonctionne. En 2015, l’outil open source HealthMap prédisait, neuf jours avant l’annonce de l’Organisation mondiale de la santé, l’épidémie d’Ebola. Pas de Google derrière, mais un “simple” hôpital de Boston. Et si Google a assassiné Flu Trends, Harvard s’est empressé de le ressusciter — et de l’améliorer. De leur côté, les outils de prédiction des troubles sociaux existent depuis les années 2010 avec un certain succès. Pas étonnant, donc, que la CIA s’en soit également fabriqué un. Ce qui est étonnant, c’est plutôt qu’elle s’en vante.