Le phénomène gênant du jour se nomme le “begpacking” : il caractérise les jeunes backpackers blancs (ces touristes à sac à dos) repérés en train de faire la manche dans les rues d’Asie du Sud-Est.
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Nés de la contraction de “backpacker” (voyageur à sac à dos) et “beggar” (mendiant), le terme “begpacker” désigne ces nouveaux voyageurs occidentaux à petits budgets qui, par exotisme ou nécessité, n’hésiteraient pas à s’installer sur le trottoir et gratter un morceau de guitare ou vendre deux-trois babioles pour en tirer de l’argent auprès des passants. Un esprit “bab” ou une attitude que l’on pourrait caractériser de hippie sous nos latitudes mais qui n’est pas perçue de la même manière partout dans le monde.
Le site Observers de France 24 rapporte des témoignage de divers internautes sur des comportements observés en Malaisie, à Hong Kong, en Thaïlande ou à Singapour : des voyageurs réclament de l’argent en brandissant des pancartes du type “Soutenez notre tour du monde”. À noter donc qu’il ne s’agit pas de pays pauvres puisque Singapour et Hong Kong, font partie des “quatre dragons”, c’est-à-dire la première vague des pays et territoires industrialisés d’Asie de l’Est et du Sud-Est, quand la Malaisie et la Thaïlande sont qualifiés de “tigres asiatiques” ou nouveaux pays exportateurs. La question n’est donc pas tant celle de l’indécence de ces voyageurs “riches” qui iraient mendier dans les pays “pauvres” puisque ces pays sont largement développés mais plutôt celle d’un tourisme ignorant des différences culturelles. Plus généralement, cela est révélateur des problèmes liés au tourisme de masse en Asie.
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Une attitude maladroite ou orientaliste ?
L’article de France 24 s’appuie sur le témoignage de deux Malaisiennes qui, choquées, ont posté sur les réseaux sociaux des photos de ces touristes quémandant de l’argent en échange d’un morceau de musique ou de l’achat d’un objet par exemple. Dans des pays où faire la mendicité est très mal vu, voire méprisé car synonyme d’échec social, forcément, voir des blancs (caricaturalement identifiés comme riches) demander de l’argent dans la rue est plus que déroutant.
“Pour nous, c’est très bizarre, on ne comprend pas qu’on puisse demander de l’argent aux autres pour voyager. Mendier n’est pas un acte très valorisant, ceux qui le font sont vraiment dans le besoin : c’est pour acheter de la nourriture, payer leur scolarité ou celle de leurs enfants, rembourser des dettes… Mais pas pour quelque chose qui est considéré comme un luxe !”, explique Maisarah Abu Samah, l’une des observatrices de France 24, notant au passage que ces backpackers possèdent des objets de valeur comme des appareils photo ou un amplificateur.
Mais pour une autre observatrice, Luise, ce type d’attitude est révélatrice des clichés sur l’Asie, réduite à une terre d’exotisme où il fait bon vivre et où “tout le monde est gentil” :
“Pour moi, il y a une attitude orientaliste de la part de ces voyageurs qui considèrent l’Asie comme un lieu exotique et de découverte spirituelle. Cela réduit notre continent à une caricature, celle d’une terre mystique et d’un lieu d’aventure. Autrement dit, j’ai le sentiment que nous sommes un terrain de jeu pour les Blancs, où ce genre d’attitude est banalisée comme si elle devait faire partie de l’expérience, de la découverte de soi. Parfois j’ai envie de leur demander : qu’est-ce qui vous fait croire que ce genre de comportement est normal en Asie ? Pourquoi vous ne faites pas la même chose chez vous ?”
Et de poursuivre : “Ce nouveau phénomène du ‘begpacking’ prouve pour moi que l’industrie du tourisme dans les pays du Sud est problématique : elle nourrit le mythe du ‘bon sauvage’, une personne non-blanche, gentille et bien intentionnée mais pauvre et ignorante qui ne cherche qu’à rendre service à l’homme blanc et l’accueillir comme il se doit dans son pays.”
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Un épiphénomène du tourisme de masse en Asie
Cette attitude déplacée et ignorante de certains voyageurs, expliquée par France 24, est révélatrice de problèmes plus larges liés à l’expansion massive et incontrôlée du tourisme dans cette région du monde, où des backpackers blancs irrespectueux sont malheureusement visibles à chaque coin de rue. Des attitudes que l’on pourrait qualifier de néocolonialistes dans le sens où elles imposent là-bas des us et coutumes d’ici, en faisant fi des usages locaux. Ainsi, il n’est pas rare de voir en Asie du Sud-Est des voyageurs torse nu ou en short alors que dans la plupart de ces pays, la décence et le respect demandent de couvrir a minima ses genoux et ses épaules.
France 24 analyse par ailleurs cette tendance un peu gênante à se croire partout chez soi sans se préoccuper des dommages collatéraux du “travel porn” : cette propension des utilisateurs des réseaux sociaux, notamment sur Instagram, à vous faire rager toute la journée en vous balançant des photos de rêves pris dans des endroits de rêve à l’autre bout du monde. Une mode vectrice de frustration, qui aurait tendance à faire croire aux gens que faire le tour du monde et à moindre frais est à la portée de tous et donc à générer ce type de profils de voyageurs un peu “profiteurs”.
De façon plus globale, il faudrait s’interroger sur les conséquences du tourisme de masse où le voyage est érigé en bien de consommation et les destinations en produits à s’approprier et accumuler dans des “bucket lists” ou à rayer sur des “check lists”. Dans cette configuration, la recherche d’authenticité peut conduire à faire un peu n’importe quoi et à donner une mauvaise image “du blanc qui voyage”.