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Après les fêtes de fin d’année de 2016, la consommation d’alcool des plus jeunes était évoquée à la télé. Des parents expliquaient, tout sourire, qu’ils faisaient goûter des boissons alcoolisées à leurs enfants “parce que l’alcool, c’est culturel”. Aujourd’hui, il en est de même pour les stupéfiants. Non que ceux qui en consomment en fassent goûter à leurs enfants dès leur plus jeune âge, mais ils sont entrés dans notre culture.
Tous les jours, depuis ma cellule, je vois à la télé des éléments de notre société inscrivant encore un peu plus la notion de consommation de stupéfiants comme quelque chose de normal. Dans l’ultime épisode de Fais pas ci, fais pas ça, on pouvait voir les enfants devenus grands, assis dans l’herbe, discutant en buvant une bière et en se faisant tourner un joint, sans qu’à aucun moment il n’y soit fait référence ou que quelqu’un ait un comportement anormal. Aujourd’hui, on consomme même des stupéfiants dans Plus belle la vie, avant 21 heures sur France 3 !
La consommation de cannabis, une pratique culturelle ancrée et banalisée
Des artistes comme Bob Marley, des films comme Les Frères Pétard, Las Vegas Parano, How High, Les Parasites et bien d’autres font eux aussi partie de notre culture. L’une des plus célèbres chansons de Dr. Dre, “The Next Episode”, se termine avec la voix de Nate Dogg scandant un fameux “Smoke weed everyday!”. En France, Oxmo Puccino et Olivia Ruiz ont par exemple interprété une très belle chanson sur des week-ends enfumés passés à Amsterdam.
L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) rapporte qu’en 2017, 42 % des adultes de 18 à 64 ans ont consommé du cannabis, et 11 % sont des usagers actuels. L’organisme note un “usage problématique ou une dépendance” pour 2 % des 18-64 ans et 8 % des jeunes âgés de 17 ans, pour qui des prises en charge existent.
40 % des 18 à 64 ans consomment donc du cannabis sans que cette consommation ne semble “problématique”. Les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ont toutefois pris 56 000 personnes en charge en 2016 à cause de leur consommation de cannabis, dont 22 000 jeunes.
Des consommateurs de tous les milieux et tous les bords
Je ne vous dirai pas quelles personnalités j’ai croisées dans mon expérience de petit trafiquant, mais je peux vous dire que mes clients étaient des adultes actifs appartenant à toutes les catégories socioprofessionnelles et à tous les bords politiques. J’ai même vu un de mes clients se faire interviewer à la télé au cours d’un meeting de Nicolas Sarkozy !
Je vendais à des artistes, des artisans, des employés du public, du privé, des chefs d’entreprise, des personnels médicaux, éducatifs (qui ont sûrement retrouvé un dealer très rapidement… sûrement pas aussi sympa, mais bon). En tout cas, quand une infirmière partage avec vous la passion qu’elle a pour son travail mais aussi la dureté de ce métier au quotidien, et vous remercie de lui avoir apporté de quoi se détendre après une rude journée, oui, vous vous sentez utile.
Lorsqu’un artiste mondialement connu, dont vous appréciez particulièrement le travail, vous dit que vos produits l’ont parfaitement accompagné dans sa dernière production, alors, oui, vous ressentez une certaine fierté. Quand une ancienne danseuse souffrant de mal de dos chronique vous dit qu’elle pourrait difficilement vivre sans vous et vos collègues… vous vous sentez indispensable.
Qui peut aujourd’hui, sincèrement, me dire qu’il est légitime d’interdire à des adultes responsables, des modèles de réussite pour certains, de consommer tel ou tel produit quand ils connaissent leurs effets et qu’ils ne sont pas victimes de leur consommation ? S’il est légitime pour des personnes saines d’esprit de consommer des stupéfiants, alors on explique aisément l’impossibilité d’éradiquer le trafic.
La consommation ne va pas disparaître, donc le trafic ne va pas disparaître. Il y aura toujours des candidats pour répondre à cette demande que les gouvernements successifs ont choisi d’ignorer. Et ce monde du stupéfiant, comme le monde des boissons alcoolisées, est composé, entre autres mais pas seulement, de personnes qui ont un véritable amour des produits qu’ils consomment. Ils ont à ce titre une attitude responsable en termes de protection des plus jeunes et du respect de l’ordre public.
Aussi, si je ne fais pas de l’empirisme ma doctrine par excellence, je pense que nous ne pouvons plus laisser le débat entre les mains de rationalistes campant sur des positions idéologiques en total désaccord avec la réalité. L’argumentaire opposé à une législation plus souple est souvent fait de sophismes et, souvent aussi, porté par un discours infantilisant visant à faire passer les consommateurs de stupéfiants pour des hippies qui veulent vivre dans une société où on abolirait le travail au profit du plaisir.
La drogue en France, une hypocrisie quotidienne
Les opposants à un changement de législation nous disent que la société doit avoir des interdits, sous-entendant que ceux qui prônent ce changement sont irresponsables, qu’ils sont de doux rêveurs qui croient encore qu’il est interdit d’interdire. Un tel sujet ne peut plus être traité d’une manière aussi manichéenne, car la réalité est plus nuancée. Et elle nous montre une sacrée hypocrisie, qui s’étale devant nous tous les jours.
L’été 2016, comme tout le monde, j’ai vu Michaël Jeremiasz, notre porte-drapeau aux Jeux paralympiques, déclarer sur différents plateaux télé avoir consommé du cannabis. Au cours de la promo d’un film dans lequel il interprétait un ex-dealer, Vincent Lacoste n’hésitait pas à dire que dans le fond c’était un métier comme un autre.
À quasiment chaque épisode de son émission Salut les Terriens, Thierry Ardisson évoque avec le sourire son affection pour les stupéfiants. Le 25 mars 2017 par exemple, il disait carrément attendre la fin du tournage pour aller “fumer un pétard”.
Posez-vous deux minutes, et essayez d’imaginer le sentiment d’injustice que peut susciter cette situation, regarder cette émission et entendre ces propos, quand on est en prison pour trafic de cannabis. J’ai l’impression d’être un stigmate de la maladie qu’est cette hypocrisie, une hypocrisie bien de chez nous.
Je ne leur jette pas la pierre, au contraire. Ils décrivent leur réalité. Mais derrière ces propos se cache le fait qu’ils ont eu recours à un dealer qui risque peut-être un jour, comme moi, de faire un séjour en prison. Comment peut-on encore cautionner cela ? Quelle est cette législation que certains se vantent d’enfreindre à la télé, et pour laquelle on en met d’autres en prison ?
Si je ne me trompe, c’est en partie le constat de cette hypocrisie qui a amené à la future contraventionnalisation des clients sous couvert de vouloir les responsabiliser, afin que ces derniers payent eux aussi et que les “dealers des quartiers” ne soient pas les seuls à subir les conséquences judiciaires de ce trafic.
À ce sujet, Emmanuel Macron dit dans son livre Révolution :
“De la même manière, l’usage et la détention de cannabis en deçà d’une certaine quantité, comme certaines infractions du Code de la route (défaut d’assurance automobile par exemple), doivent-ils nécessairement relever des tribunaux correctionnels ? On pourrait tout à fait considérer que le régime des contraventions serait suffisant pour sanctionner ces comportements.
[…] Je dis simplement qu’il faut écouter les professionnels de police et de justice qui, eux-mêmes, expliquent combien il est vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis, alors qu’une contravention lourde et payable immédiatement serait beaucoup plus économe en temps pour la police et la justice, et bien plus dissuasive qu’une hypothétique peine de prison dont tout le monde sait qu’elle ne sera finalement jamais exécutée.”
Ici, Emmanuel Macron, qui souhaite non pas réformer le pays mais le transformer, dans ce monde où les peuples en appellent à plus de démocratie, fait le choix de se rapprocher de la justice et de la police, dont la fonction limite le plus souvent la réflexion à des solutions pour une politique répressive plus efficace. Pourtant de nombreuses voix s’élèvent dans la société civile pour réclamer, si ce n’est la légalisation, au moins l’ouverture d’un débat sur la question.
Certain·e·s politiques, comme le député européen Jean-Luc Bennahmias, se sont également prononcés en faveur d’un encadrement de la vente, mais sans succès jusque-là. L’écologiste François de Rugy, qui préconisait la légalisation du cannabis dans son programme et qui est désormais président de l’Assemblée nationale, devrait même présider le vote pour la contraventionnalisation des consommateurs !
Et tout cela en disant vouloir lutter contre des pratiques addictives, qui, par nature, relèvent de questions d’ordre médical et qui méritent donc d’être discutées avec… les corps médicaux. Ou, la consommation de cannabis et plus généralement de stupéfiants étant un phénomène de société, le sujet devrait être débattu avec le peuple. Vous l’aurez compris, pour moi la contraventionnalisation des clients est la proposition la plus inadaptée qu’il y ait en la matière.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau