Quand Meek Mill reprend le son d’un baptême des années 1950

Quand Meek Mill reprend le son d’un baptême des années 1950

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Par Brice Miclet

Publié le

Enregistré par le collecteur Alan Lomax dans le Sud des États-Unis, un chant gospel scandé durant un baptême est arrivé comme par magie sur le dernier album de Meek Mill.

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(© Meek Mill, via Facebook)

Il s’agit d’un extrait court, uniquement composé d’un “Yeah !” crié à pleins poumons, que l’on retrouve également sur de nombreux titres de rap des années 2010, dont le classique moderne “Niggas In Paris”. Le 27 novembre 2017, le New York Times accueillait dans ses colonnes un invité de marque : Jay Z s’appropriait la plume dans la rubrique Opinion pour prendre publiquement la défense de son confrère Meek Mill, alors condamné à deux ans de prison ferme.

Dix ans auparavant, celui-ci était tombé pour port d’arme illégal et détention de stupéfiants, et entamait, après sa sortie de prison en 2009, une carrière musicale toujours menacée par les termes de sa liberté conditionnelle.

“Ce qui arrive à Meek Mill dénonce comment notre système judiciaire piège et harcèle des centaines de milliers de noirs chaque année, lançait Jay Z dans le journal phare de New York. Au lieu d’une deuxième chance, le délai d’épreuve se transforme en terrain miné, où un mauvais pas entraîne des conséquences plus lourdes que le délit.”

Lorsqu’il retourne derrière les barreaux, Meek Mill est déjà un rappeur plus qu’affirmé, avec trois albums à son actif, dont l’excellent Dreams Worth More Than Money. Le coup d’arrêt est dur, et indigne un grand nombre de personnalités publiques, qui voient en cette décision une traduction du racisme de la justice américaine.

Meek Mill et le sample

Quand il sort de prison le 24 avril 2018, Meek Mill a les crocs. Il prépare déjà son retour, tant attendu, dans les bacs. Il a des choses à dire. Et le 30 novembre 2018, il publie Championships, l’un des albums rap US les plus excitants de cette fin d’année.

Pour ce faire, il s’est entouré de producteurs phares tels que la team de Rance 1500, le talentueux C-Sick, et même de noms plus méconnus comme Papamitrou, qui lui composera d’ailleurs quatre instrus. La plupart de ces beatmakers utilisent un grand nombre de samples. Le titre éponyme, produit par Dario et les Rance 1500, est doté d’un sample hypervolumineux et fidèle de “I Found The Girl” du crooner Toney Fountaine (1987), tout saxophone dehors.

Le puissant “Stuck In My Mays”, composé par Cardo, sample la bande originale du Creepshow. L’un des passages les plus prenants de l’album, “What’s Free”, en featuring avec Rick Ross et Jay Z, contient un sample pitché du magnifique titre “Close To You” de Richard Evans (1972). Dernier exemple, “Trauma”, produit par Don Cannon et, encore une fois, les Rance 1500, sample le groupe de rock progressif anglais Barclay James Harvest et leur titre de 1977 “Taking Me Higher”. Bref, les amateurs de sampling ont de quoi se mettre sous la dent.

Le travail titanesque d’Alan Lomax

Mais un morceau en particulier retient l’attention : “Almost Slipped”. À la prod, The Trillionaires, et Maaly Raw, tous originaires, comme le rappeur, de Philadelphie. On fait dans le local. Dans le texte, Meek Mill conte fleurette, de manière franchement crade, à une donzelle a priori peu farouche : “I almost fell in love with a thottie / My dawg said “You got too many bodies” / Girl, that pussy had me like a zombie”. Pas forcément le titre le plus marquant de la tracklist, mais son intérêt réside ailleurs.

À la treizième seconde du morceau, on entend très distinctement une voix crier “Yeah !”, puis se perdre dans les méandres de la production de The Trillionaires et de Maal Raw. Transformé tout au long du titre, flitré, rallongé, modifié, modulé, il devient l’un des éléments harmoniques majeurs de “Almost Slipped”, pour réapparaître clairement plusieurs fois dans la chanson. On ne sait pas exactement qui scande ce “Yeah !”. Ce que l’on sait, c’est qu’il s’agit de la voix de l’un des choristes gospel du Reverend W.A. Donaldson, qui procédait à un baptême en musique durant les années 1950 dans le Sud des États-Unis.

La scène a été enregistrée par Alan Lomax, le plus célèbre collecteur de musique de l’histoire de la musique enregistrée, dont nous vous parlions déjà dans le Sample Story #5 consacrée à Moby (qui portait plus précisément sur le travail de son père, John Lomax). Un gaillard qui a entrepris de sillonner les USA afin d’enregistrer, de répertorier et d’archiver les musiques traditionnelles de son pays, que ce soit le blues, le gospel, les chansons de cow-boy, les musiques des Bahamas, d’Haïti ou la country la plus rustique. Un travail qui fait date.

L’enregistrement a ensuite été commercialisé, avec succès, en 1960 sur la compilation Sounds of the South, au milieu de bien d’autres musiciens anonymes. Une mine d’or pour les beatmakers.

KW, Jay Z, Bryson Tiller, Lil Wayne…

En fait, ce “Yeah !” est apparu à de nombreuses reprises sur plusieurs titres rap post-2010. Sur l’introduction de “Niggas In Paris”, le tube de Kanye West et Jay Z datant de 2011, c’est bien lui que vous entendez.

Idem tout au long de l’excellent “You Song” de Lil Wayne et Chance The Rapper en 2013, ou du très lourd “502 Come Up” de Bryson Tiller en 2015.

Le plus drôle, c’est qu’il tournait déjà en boucle sur un titre de Meek Mill : “Cold Hearted”, en featuring avec Diddy en 2015, sur son meilleur album Dreams Worth More Than Money.

En fait, le “Yeah !” enregistré par Alan Lomax ressemble à un autre “Yeah !” : celui que l’on entend à la vingt-deuxième seconde d’un titre de 1972 du groupe Mountain, “Long Red”.

Cela ne vous dit rien ? Écoutez plutôt l’introduction du titre “The People” de Common, et sa prod. délirante signée Kanye West.

En fait, les samples de “Yeah !” en tous genres, mériteraient, à eux seuls, un épisode de Sample Story. On garde l’idée bien au chaud, promis !