Cyrielle Gulacsy est une jeune artiste qui revisite l’érotisme et la pop culture grâce à une technique vieille comme Hérode : le dessin au point. Nous l’avons interviewée afin de dresser son portrait et découvrir son univers à la fois élégant et provocateur. Interview.
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Konbini | Peux-tu nous raconter ton parcours ? Quel a été l’événement déclencheur, qu’est-ce qui t’a donné envie de dessiner ?
Cyrielle Gulascy | Je n’ai jamais vraiment eu d’élément déclencheur, je crois que je dessine depuis aussi longtemps que ma mémoire peut remonter. Quand j’étais petite, mes parents m’allongeaient sur des feuilles de papier géantes, j’ai gribouillé avant même de marcher. Pendant une grande partie de mon enfance, j’ai voulu être peintre, puis pilote de chasse. Je n’ai jamais arrêté de dessiner et maintenant j’ai décidé de me consacrer pleinement à mes projets, je mets sur papier tout ce qui me passe par la tête.
Ta technique de dessin nécessite une certaine précision et une patience de dingue. Si j’ai bien observé, tu dessines point par point ? Combien de temps nécessite la création d’un dessin ?
Pour cette série, j’ai dessiné au point, mais ce n’est pas toujours le cas. Je dessine aussi à la mine de plomb pour une autre partie de mon travail. Pour les petits formats que j’ai récemment exposés, et qui font en moyenne 10 centimètres sur 8, cela représente entre 5 et 10 heures de travail. Ce qui fait environ 300 heures pour la sérié complète… soit 5 865 522 points !
Ton dessin est essentiellement en noir et blanc. Il est fait de contrastes épurés, de légères nuances et de formes voluptueuses. Peux-tu nous expliquer ce choix technique et artistique ?
De manière générale, il est assez difficile d’expliquer des choix techniques qui relèvent plus, je pense, de l’inconscient. Le noir est blanc s’est imposé logiquement, parce qu’il permet de se concentrer sur le sujet en profondeur, mais c’est aussi un choix esthétique. Finalement, je pense c’est une facilité, la couleur rajoute un sens supplémentaire. Pour ce qui est de la technique, c’est peut-être pour faire le contrepoids avec ma tendance à ne pas tenir en place que je dessine des détails qui prennent des heures. C’est le seul moment où je peux rester assise plus de 20 minutes.
Comment définirais-tu ton style ?
Je pense que j’oscille entre réalisme et surréalisme.
Lors de ta dernière exposition à l’hôtel Grand Amour, à Paris, tu as utilisé un seul et unique format (10 x 8 centimètres). Pourquoi ce choix ?
L’idée de cette exposition était de donner l’effet de rentrer dans la tête de quelqu’un. On arrivait par une toute petite porte qui donnait sur une grande salle, puis les murs aux formes disproportionnée et recouverts d’aluminium symbolisaient quelque chose de plus onirique, d’étrange. D’un coup, on tombait face aux dessins, comme une sorte de collection de fantasmes dévoilés à la vue de tous. Le petit format renforçait cette idée de voyeurisme, comme si on regardait par une petite fenêtre ou un trou de serrure. C’est un format assez érotique, en fait.
La totalité des dessins appartenant à cette série évoque les corps féminins, la nudité, l’érotisme. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer ces thématiques ?
Mon travail s’inscrit dans une idée beaucoup plus vaste que l’érotisme. Cette série est un prélude, un passage obligé vers ce que je veux raconter par la suite. À travers mes dessins, je parle de l’esprit humain et de la façon de penser, d’interpréter, de rêver ; je montre des souvenirs. Cette série, c’est un peu la représentation d’une obsession dans une période de solitude, dans l’attente d’un événement perturbateur. Une rencontre, par exemple. À côté de cela, c’est vrai qu’il y a aussi une envie esthétique, de représenter une forme de perfection. J’en avais envie et je devais passer par là.
Est-ce que tu travailles à partir de modèles, de photographies ? Ou tout provient-il de ton imagination ?
Certains dessins, comme les dos d’homme, étaient impossibles à imaginer donc j’ai pris des photos. Mais la majeure partie du temps, je fais un croquis d’imagination, et, quand je n’arrive pas à projeter mentalement la façon dont se pose la lumière, je reprends des photos.
Sur ton Instagram, j’ai pu constater que tu dessinais des personnages extraits de la pop culture comme Bart Simpson, E.T., les martiens Mars Attacks !. Puises-tu plus ton inspiration dans la culture mainstream que dans l’histoire de l’art ?
En fait, je puise surtout mon inspiratios dans les romans de science-fiction et les livres théoriques sur la physique quantique, l’astrophysique, la cosmologie. Je pense que ce genre de livre débloque énormément de chose dans l’esprit. Même si ça n’a pas de lien évident avec ce que je dessine, c’est très lié. Et en parallèle à ça je suis vraiment fan de cette pop culture.
Si tu devais nous faire découvrir un artiste. Contemporain ou non, qui serait-il ?
Il y a un artiste que j’apprécie beaucoup en ce moment : Felipe Pantone. C’est un street artist argentin qui fait des grandes fresques, hyper-géométriques et psychédéliques, c’est assez fou, d’une précision incroyable et fait à la main. J’aimerais bien avoir l’un de ses tableaux chez moi.
Quels sont tes projets pour la suite ? Expositions, collaborations… ?
Je prépare actuellement une exposition qui sera la suite de celle exposée à l’hôtel Grand Amour, dans une cave d’immeuble réaménagée en galerie, ça s’appelle “Ground Effect”. Ce sera beaucoup plus onirique et on pénètrera un peu plus en profondeur dans l’esprit humain. Je bosse aussi sur un livre pour enfants sur la vie de Bouddha pour une association qui construit des écoles dans les pays pauvres. Je pense faire une autre expo solo en juin à New York.