Oui oui, allez-y. Mais si je me goure dans l’animation ce sera de votre faute.
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K | Vous avez commencé très jeune à faire de l’animation. Est-ce qu’il y a eu un déclic ?
Je faisais des petits flip book sur les bords de page des bouquins de mes parents, c’était assez intuitif, je ne me posais pas trop de questions. Je pouvais raconter des histoires et puis avec mon cousin on avait fabriqué une machine pour faire défiler les dessins animés, une sorte de zootrope amélioré [inventé en 1834, le zootrope est une machine composée d’un tambour tournant qui permet d’animer un mouvement décomposé, ndlr].
K – Qu’est-ce qui vous plait dans la pratique de l’animation ?
C’est de faire une expérience et de voir le résultat après. Je crois que ce qui me plait, c’est de fabriquer le mouvement. C’est un peu prétentieux de dire ça mais faire de l’animation c’est comme réinventer le cinéma à chaque fois.
K | C’est aussi le risque de l’animation de ne pas savoir précisément ce que ça va donner à la fin ?
Oui, c’est le côté excitant du truc. Il y a toujours un résultat mais il y aura aussi des erreurs à chaque fois. L’animation est toujours une surprise, et c’est le fait de ne pas connaître le rendu à l’avance qui fait la beauté de la pratique.
J’aime pas la pâte à modeler, je trouve ça trop mou. Quand on parle d’animation les gens pensent toujours pâte à modeler…
K | Il faut dire que dans la pop culture, les films d’animation célèbres sont souvent faits en pâte à modeler, comme Wallace et Gromit, L’Étrange Noël de Monsieur Jack ou Chicken Run…
J’aime beaucoup plus les animations des pays de l’Est où il n’utilisaient pas de pâte à modeler mais plutôt des matériaux comme le bois ou le papier découpé. J’aime beaucoup Bretislav Pojar par exemple, qui faisait des marionnettes en bois selon la tradition tchèque.
K | Dans vos travaux, il y a une part importante d’expérimentation. Est-ce qu’à force d’innover vous avez fait des découvertes sur l’animation ?
En fait j’essaie d’inventer une méthode différente à chaque fois, de créer ce que j’ai envie de voir, quelque chose qui n’existe pas déjà et que je n’ai encore jamais vu. J’essaye de ne pas trop imiter..
Par exemple quand on a fait le clip en Lego [Fell in Love With a Girl des White Stripes, ndlr], il fallait trouver une méthode pour animer la chose. On ne peut pas animer des legos par déplacement donc il fallait construire un grand mur en lego à chaque fois. On avait digitalisé en couleur sur papier et puis on remplaçait les carrés dessinés par des Lego… je vais me gourer attends… Ça va partir dans tous les sens.
(Après s’être concentré un instant sur ses dessins, Michel Gondry reprend)
Oui, donc il fallait trouver une méthode pour organiser le travail et réussir à faire un mouvement aussi fluide que dans la vie réelle. Pour ça, il fallait re-fabriquer entièrement chaque image à chaque fois…
(Il s’arrête encore une fois pour vérifier le bon fonctionnement du travail qu’il est en train de réaliser)
En fait je n’arrive pas à parler quand je fais de l’animation. Quand je faisais le film sur Chomsky j’avais une amie qui n’arrêtait pas de me parler et au bout d’un moment j’ai dû arrêter de l’avoir près de moi car je ne faisais que des erreurs.
Il va bouger dans tous les sens mon bonhomme. Le ballon revient là, 5.. 6.. 7… Je pense qu’il y aura une douzaine d’images à boucler en tout.
K | Que ce soit dans vos clips ou dans vos films, j’ai l’impression que vous voulez dévoiler le processus de fabrication, pourquoi ?
Je trouve que ça fait partie de la magie quand on voit un petit peu comment j’ai fonctionné pour avoir ce résultat. 9…10… Ça va le faire.
K | Je pense au clip de Love Letters de Metronomy par exemple, où vous auriez très bien pu choisir de faire un plan plus serré afin que le spectateur se demande comment vous avez procédé.
Ouais mais si on n’avait pas vu comment c’était fait, le clip n’aurait probablement rien eu d’exceptionnel. Ça aurait été plus anodin.
Merde j’ai trop bougé là, tant pis.
J’ai toujours bien aimé les films où on peut voir comment c’est fabriqué.
K | Vous avez des exemples ?
Justement, dans les films de Bretislav Pojar, on voyait que tout était fait à la main, on imagine le fond du décor. Et puis j’avais vu des photos de plateau de ses films, ça me faisait rêver étant petit. Je tiens peut-être ça de là.
Allez, ça y est, on va pouvoir shooter !
(Michel Gondry choisit son cadre en disposant le petit trépied sur lequel j’avais fixé un smartphone)
Bon, moi je dispose les dessins et c’est vous qui allez prendre les photos.
K | Ok, par contre c’est tactile, ce ne sont pas exactement des photos… Mais bon.
Oui c’est pour ça que j’aime pas ce genre d’application, tu crois pouvoir tout faire avec, mais pour le stop motion, rien ne vaut un appareil photo.
S’en suivent trois minutes où Gondry dispose ses dessins un par un au même endroit, marqué par un repère qu’il avait réalisé avant de commencer ses croquis. J’appuie rapidement sur l’écran entre chaque pose pour que les dessins prennent vie. Arrivé au douzième et dernier dessin, Michel Gondry décide de faire le chemin retour. C’est reparti donc, mais dans l’autre sens 11, 10, 9, 8…
Voilà ! Normalement ça va se boucler avec la première image donc pas besoin de re-shooter le numéro 1.
Mouais, c’est pas très fluide tout ça. Bon, si c’est pas mal quand même. Au moins il va jongler à l’infini mon bonhomme.
K | J’imagine qu’avec le nombre de travaux que vous avez fait, vous avez dû révéler quelques vocations, chez les jeunes notamment. Avez-vous un conseil à donner à un débutant dans l’animation ?
Il faut privilégier des petits espaces. Il faut faire beaucoup d’images mais sur des petites surfaces. C’est ça qui marche bien dans l’animation, être très patient et prendre beaucoup de photos de petits déplacement, c’est comme ça qu’on a un beau mouvement fluide.
Les petits espaces c’est la clef, peut-être que moi même je n’en n’ai pas fait assez, mais l’avantage c’est que même si le mouvement n’est pas parfait, y’aura toujours une belle fluidité si on a la patience de faire des petits déplacements.
Enfin, le meilleur conseil que je pourrais donner c’est qu’il faut terminer ses projets, car beaucoup de gens font des ébauches pour ne pas aller jusqu’au bout.