En concert à Rock en Seine dimanche 29 août, Sum 41 a assuré avec brio le fan service, devant un public nostalgique et totalement conquis.
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Les premiers émois d’adolescents sont compliqués à expliquer. À l’affiche de Rock en Seine, dimanche 29 août, Sum 41 fédère un public plus chaud que le soleil qui a illuminé le festival pendant trois jours. Le groupe de skate punk canadien, ressemble un peu à un premier amour : on n’arrive pas toujours à le justifier, on en a honte parfois, mais au fond de soi, résidera toujours une part de tendresse inavouée. Les festivaliers venus voir les quatre musiciens sur scène, quinze ans après le premier album, ne sont pas tous des fans invétérés. Certains ne connaissent qu’un ou deux morceaux, comme les sœurs Esther et Axelle, âgées de 25 et 19 ans :
“On regardait les clips de Sum 41 sur MCM. C’est un groupe qui nous parle, c’est une bonne occasion de les voir, un truc à faire au moins une fois dans notre vie.”
Le groupe canadien fait partie des ces souvenirs d’ados impérissables. À certains, il rappellera leur premier pogo, à d’autres leur première soirée. Dans la foule, on repère des T-shirts de Sum 41 sur le dos des plus jeunes, mais tous les styles sont présents. Tout le monde a bien changé depuis All Killer, No Filler (2001) ou Does It Look Infected? (2002). Pourtant, dans cette foule éclectique, ils sont quelques milliers à avoir pleuré sur “Pieces” (2004) après leur premier chagrin d’amour, à avoir pogoté pour la première fois sur “Still Waiting” (2002), à s’être reconnus dans les paroles de “Walking Disaster” (2007), à avoir claqué la porte de leur chambre avant de mettre “The Hell Song” bien fort pour énerver leurs parents qui, franchement, ne comprenaient vraiment rien.
S’intéresser à Sum 41, c’était se plonger dans la découverte d’un petit bout de la musique rock, peut-être pas la meilleure partie, mais une partie quand même. Et puis, l’ouverture sur un univers musical aussi vaste doit bien se faire quelque part et pour nombre d’entre nous, cela a commencé avec Sum 41.
La madeleine de Proust de toute une génération
C’est le cas de Vincent, bordelais de 23 ans, repérable avec son bandana sur la tête et le T-shirt officiel de la tournée du groupe : “Ça fait dix ou onze ans que je suis fan,” explique-t-il avant de se retourner vers son frère, installé sur l’herbe. “Tu as commencé quand à jouer de la guitare électrique ?” lui demande-t-il. Comme pour de nombreux enfants, le jeune garçon a écouté ce que son frangin aimait en musique. “En fait , il a appris un morceau de Sum 41 et c’est comme ça que je me suis intéressé au groupe.” En 2011, Vincent a été très déçu par ses idoles lors d’un concert à Bordeaux. Il espère que leur prestation à Rock en Seine pourra effacer ce triste souvenir.
Vincent était gamin quand il a écouté les premiers opus de Sum 41. Pour Thibaud, 35 ans (qui en paraît 10 de moins dans son costume de Pikachu), le groupe faisait partie de la bande-son de ses années lycée : “J’écoutais pas mal de groupes de skate punk comme Blink 182, puis après je me suis mis au hardcore.” Quand on lui demande s’il écoute encore Sum 41, il répond par l’affirmative : “J’ai bien aimé les derniers morceaux qu’ils ont sortis récemment.” Il parle de deux extraits parus en juillet et août, dont “Fake My Own Death”, extrait de leur nouvel album 13 Voices, attendu le 7 octobre prochain.
Il y a bel et bien des gens qui s’intéressent encore à Sum 41, en 2016. Il suffit de regarder autour de soi lorsque du bruit se fait entendre sur la Grande Scène. Ce ne sont pas des titres du groupe qu’on entend mais bien l’intro d’un morceau d’AC/DC, et pourtant, le public hurle déjà. Des retardataires se précipitent vers la scène pour se rapprocher de la musique. Puis les rock stars de notre adolescence débarquent.
De loin, on croirait les Sum 41 inchangés depuis vingt ans, comme s’il étaient coincés dans une capsule temporelle : mêmes fringues, même dégaine, même look. Mais les écrans géants trahissent le temps qui passe. Dave Baksh, le premier guitariste, qui s’était éclipsé en 2006, est de retour. Il a un peu grossi. Le visage de Deryck Whibley, figure de proue de la bande, est marqué et boursouflé, le résultat de plusieurs années d’addiction.
Sum 41, plaisir coupable
Malgré cette apparence moins lisse, on ne peut nier ni l’énergie ni la sincérité du bonhomme, qui seront récompensées par une foule en délire, suivant au doigt et à l’œil ses moindres faits et gestes. Deryk, qui, à 36 ans, passerait pour un émo trop vieux dans son slim moulant, est étrangement charismatique. Le mec fait ce qu’il veut de son auditoire : il parvient à faire les lever toutes les mains du public, le majeur bien évidence, l’insulte affectueusement de “motherfuckers”, lui balance des bombes à eau… Au moment où résonnent les premières notes d'”In Too Deep”, tout le monde a de nouveau 15 ans.
Karilyne avait 15 ans il n’y a pas très longtemps, justement. À 18 ans, elle est fan de Sum 41 depuis quatre ou cinq ans. Cette petite brune pourrait être le visage de toutes les adolescentes torturées qui ont grandi, aujourd’hui. L’amie qui l’accompagne la taquine gentiment : “Elle a mis en légende de sa photo de profil Facebook, les paroles de la chanson ‘Pieces’.”
Karilyne a de la chance : Sum 41 enchaîne les tubes, dont cette fameuse chanson présente sur Chuck (2004), l’album qui avait fait décrocher une grosse partie des fans, se considérant trop matures pour ce genre de musique. Ceux qui ont continué à aimer le groupe malgré les années, comme Vincent, son rares. Difficile, à 20 ans passés, d’avouer son amour pour Sum 41 devant des nouveaux copains de fac qui écoutent de l’électro ou de l’acid jazz.
D’autant que l’âge d’or du skate punk est déjà loin, surtout celui dans la veine de Sum 41. La musique du groupe est aujourd’hui considérée (au même titre que le son de Green Day) comme un rock de collégiens, pour les plus polis, ou un “rock de pisseuse” pour les plus médisants. Les détracteurs en diront ce qu’ils veulent, l’hystérie et la joie du public est bien réelle, sur la pelouse du domaine de Saint-Cloud, devant ces quatre adultes sapés comme des ados. Peu importe si la musique ne se résume qu’à trois accords, et une grande simplicité.
Après moins d’une heure de concert, on a retrouvé Vincent, aux anges, qui a slamé un peu partout dans le public. On est aussi tombé sur Katia, blogueuse mode de 22 ans, ravie de ce qu’elle a vu : “Le groupe était top, on s’est dit : ‘ils ont pas vieilli c’est toujours aussi bien.'” Ces 45 minutes de régression ont fait un bien fou à tout le monde.
Sum 41 ne révolutionnera jamais la musique, que ce soit sur album ou en concert. D’ailleurs, excepté les fans absolus, plus personne ne se soucie d’eux depuis Chuck. Si les Canadiens se produisent encore en 2016, c’est grâce à la force de la nostalgie. La même qui a rempli les salles de cinéma lors de la sortie de Star Wars VII en début d’année, la même qui explique le succès de la série Stranger Things.
Cette nostalgie qui maintient Sum 41 en vie n’a d’effet que si le groupe assume un fan service, à grand renfort de hit et de tubes. Finalement, les nouveaux morceaux sont plus un prétexte pour remonter sur scène que pour proposer quelque chose de neuf. Il n’y a aucun mal à ça, puisque ce n’est pas ce que les gens attendent de Sum 41.