En 1999, la jeune Sofia Coppola faisait sensation à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en présentant son premier long-métrage adapté du roman de Jeffrey Eugenides, sorti dans les salles françaises le 27 septembre 2000.
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Depuis, Virgin Suicides est devenu culte et s’est enraciné dans le paysage cinématographique en tant que film générationnel. En mettant en scène le drame de cinq jeunes filles aussi belles que mystérieuses, la réalisatrice fait une déclaration d’amour à l’adolescence qui ne laisse personne indemne.
Dès le début du film, on connaît la fin de l’histoire : les héroïnes vont mourir. Et pas de n’importe quelle façon, puisqu’elles vont se suicider. Objet de fantasme d’un groupe d’adolescents depuis devenus adultes, le mystère qui entoure la mort des jeunes filles hante encore. Un flash-back nous ramène dans les années 1970, dans une petite bourgade du nord-est des États-Unis, où vivent les cinq sublimes sœurs Lisbon.
La première note dramatique intervient presque immédiatement, lorsque Cecilia, la cadette, se donne la mort. Cet événement bouleverse alors l’équilibre déjà fragile de la famille.
La complexité de l’adolescence
Au fur et à mesure que l’intrigue s’installe, on découvre ce qui se cache véritablement derrière le vernis de la tribu Lisbon : des parents obsédés par la morale et le puritanisme, des adolescentes étouffées par une mère autoritaire et un père complètement dépassé. C’est là l’une des premières clés du film : les filles ne peuvent pas s’épanouir correctement. Et plus le film avance, plus elles vont être privées de liberté, à un âge où la construction identitaire passe par les interactions sociales.
La complexité de l’adolescence est donc l’un des pivots du long-métrage, et c’est la jeune Cecilia qui, dès les premières minutes du film, le verbalise le mieux. Elle est à l’hôpital suite à une première tentative de suicide, quand elle dit à son médecin : “Vous n’avez vraisemblablement jamais été une jeune fille de 13 ans.” Plus tout à fait enfant mais pas encore adulte, on s’est tous déjà sentis incompris face à des parents qui cherchent à nous protéger.
La cadette est la première à vouloir échapper à sa condition, tant les perspectives d’évoluer au sein de cette famille lui semblent limitées.
L’âge des premières fois
Tout au long du film, Coppola s’emploie à nous faire tomber amoureux de ses héroïnes. Une tension sexuelle sous-jacente s’installe petit à petit, la caméra de la réalisatrice caresse la peau, les cheveux et les lèvres de ces femmes-enfants au teint diaphane. Leur filiation est caractérisée par un physique semblable (blondes aux yeux bleus, souvent vêtues de tenues blanches immaculées) : elles sont quasiment indissociables. Elles sont présentées en tant qu’unité, bien qu’elles aient chacune leur propre caractère.
Cela permet à la réalisatrice de raconter leur histoire tout en faisant sortir du lot la jeune Lux, interprétée par Kirsten Dunst. C’est d’ailleurs à elle que l’on s’identifie le plus aisément car elle est la rebelle de la fratrie, la plus insouciante, celle qui finalement représente le mieux l’adolescente en opposition à ses parents.
Malgré toutes les interdictions dont sont victimes les jeunes filles, le film les entraîne dans les nombreuses étapes du passage de l’enfance à l’adolescence : les premières cigarettes – voire les premiers joints pour les garçons –, les premières gouttes d’alcool, les premières danses au bal, mais également les premiers émois amoureux et la découverte de la sexualité.
Parmi ces sœurs, objets de toutes les convoitises, c’est à travers Lux et sa relation – interdite – avec Trip Fontaine (Josh Hartnett) que la réalisatrice explore l’amour juvénile. Un amour exacerbé par la fougue qui nous rappelle à tous nos premiers sentiments.
La touche Sofia Coppola
Ces jeunes filles pleines de vie vont peu à peu s’assombrir avec l’isolement imposé par leur mère. Même le feu intérieur de Lux – qui signifie “lumière” en latin – va s’éteindre pour laisser place à une mélancolie asphyxiante. Une descente aux enfers que la réalisatrice capture avec une justesse désarmante.
Dès ce premier film, Sofia Coppola crée un univers et une esthétique que l’on retrouvera par la suite dans toutes ses réalisations. Ses héroïnes sont constamment accompagnées d’un halo de lumière – presque angélique – et chaque plan est parfaitement maîtrisé. Toutes les images sont imbibées d’un mélange de charme et de nostalgie, toujours dans un style minimaliste et épuré. Et bien que le dénouement du film soit dramatique, Coppola préfère promener son regard tendre et parfois amusé sur ces adolescentes.
La bande originale du long-métrage est un élément clé de sa réussite. Le film est hanté par la mélodie composée par Air, avec la voix de Thomas Mars (Phoenix), “Playground Love”, une chanson qui a bercé des milliers d’amoureux au début des années 2000. Air signe aussi quasiment tous les titres de Virgin Suicides. Il permet à la réalisatrice de transposer en musique l’atmosphère onirique et envoûtante de son histoire.
Lorsque l’on a fini de visionner le film, on en est imprégné. Car à aucun moment Sofia Coppola n’essaie de percer réellement le mystère qui entoure le passage à l’acte des jeunes filles. À travers certains éléments de réponse, la réalisatrice va au contraire intensifier son opacité, laissant au spectateur le choix de sa propre interprétation. Elle ne tente pas de nous expliquer : elle nous montre.
“Les questions restant sans réponse au cinéma sont celles qui ont le plus d’effets sur nous.” Sans le savoir, c’est certainement le réalisateur Atom Egoyan qui explique le mieux l’empreinte laissée par Sofia Coppola sur toute une génération d’adolescents.