Réalisé par Amandine Gay, Ouvrir la voix est un documentaire afro-féministe qui parle de la difficulté d’être une femme noire en France.
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Il s’agit d’un documentaire nécéssaire et intelligent, qui donne la parole à des femmes que l’on n’entend pas assez souvent, et pourtant ce beau projet de la réalisatrice militante afro-féministe Amandine Gay, a dû se faire à la sueur de son front et à travers un financement participatif, le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) n’ayant pas souhaité soutenir son long-métrage. Ce film – pour ne pas dire ce bijou –n’aura pas le droit à une sortie en bonne et due forme, et c’est une honte ! Surtout lorsque l’on voit le nombre de bouses qui sont financées chaque année par le CNC…
Réalisé en deux ans, le film d’Amandine Gay a fait parler 24 femmes sur leur identité de femme noire en France. Vingt-quatre Afro-descendantes, citoyennes, militantes, ingénieures, chercheuses ou blogueuses qui donnent leur avis sur le racisme, l’école, l’amour, etc.
Dans la note d’intention de la réalisatrice, on lit : “Ouvrir la voix est un film qui répond à cette nécessité pour les femmes noires francophones de se réapproprier la narration car nous sommes encore trop souvent réduites au silence ou présentées comme des victimes passives.”
Le film met notamment en avant les violences du quotidien et le racisme ordinaire. Il pose des questions taboues mais importantes. Dans les “extras” du film, disponibles sur YouTube, ces femmes explorent les ambiguïtés du langage, en se demandant pourquoi en France on préfère utiliser le mot “black” ou “renoi” pour désigner une personne noire, au lieu de dire tout simplement “noir”. “Les gens ne veulent pas dire le mot ‘noir’, comme si c’était une injure”, explique l’une des femmes interviewées.
Le documentaire – à la fois brut, frontal et subtil – évoque le fait d’être une femme noire dans un milieu blanc, ainsi que celui d’être une femme noire dans un milieu noir. Dans les extraits disponibles sur YouTube, on y parle notamment du terme “niafou”(la femme noire qui est vulgaire, porte des tissages et beaucoup de maquillage), mais aussi de celui de “Bounty” (la femme noire qui a des goûts de blanche, ce qui fait qu’elle est “noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur”, à l’instar de la friandise), des mots que la communauté noire utilise pour s’autostigmatiser.
Le long-métrage aborde le rapport des petites filles noires à leurs poupées et Barbie blanches, la question des critères de beauté des Afro-descendantes. Les intervenantes discutent également du sujet de la hiérarchie des couleurs de peau. À ce sujet, on découvre d’autres mots, comme “la chabine” ou “la mulâtre“, ainsi que le débat sur les crèmes de décoloration de la peau, si populaires dans la communauté noire.
“Ce film va être très violent pour la communauté noire, prévient Amandine Gay dans une interview donnée au Monde Afrique. D’abord parce que, lorsque l’on est victime, on peut être dans le déni de ce que l’on vit et que l’on n’a pas envie que l’on nous renvoie justement cette image de victime. Mais aussi parce que si nous voulons nous décoloniser, nous devons aborder les sujets tabous au sein de notre propre communauté, comme l’homosexualité par exemple, et interroger la normativité sexuelle et genrée. Oui, les mouvements afrocentristes sont hyper machistes.”
Amandine Gay est depuis partie s’installer à Montréal, où elle espère trouver plus d’aides et de financements pour réaliser ses films. À propos de son prochain film, elle dit au Monde : “En France, on me dira que c’est un film de Noirs et je n’obtiendrai pas de financement. Aujourd’hui, non seulement la France n’est pas prête à nous faire une place mais, en plus, on nous défend de travailler sur des questions qui touchent à notre expérience.”
Ouvrir la voix sera projeté le 17 décembre à Bruxelles et les 21 et 22 décembre au cinéma La Clef à Paris. Pour en savoir plus, vous pouvez aller sur le site du film.