Redécouvert par hasard dans une brocante parisienne en 2015, après avoir disparu pendant des décennies, La Ville sans Juifs a été restauré et va ressortir en salles.
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Si vous passez par Vienne dans les prochaines semaines, n’hésitez pas à passer par le centre des archives cinématographiques d’Autriche, car en ce moment c’est un petit bout d’histoire qui est mis en avant. La BBC nous explique ainsi qu’une exposition accompagne la ressortie absolument abracadabrantesque d’un film muet plus que précurseur, La Ville sans Juifs (Die Stadt Ohne Juden). Explications.
Un film prophétique
1924. Alors que l’Europe se remet d’une guerre particulièrement destructrice, la montée des extrémismes n’en est qu’à ses débuts. Le parti nazi est interdit en Autriche, et Adolf Hitler, en prison pour encore quelques mois à cause d’un putsch raté, est en pleine écriture de Mein Kampf, son manifeste politique. Nous sommes neuf ans avant sa prise de pouvoir et les premières déportations de juifs.
C’est pourtant à ce moment-là que le cinéaste et auteur autrichien Hans Karl Breslauer sort ce qui sera son dernier film, La Ville sans Juifs (Die Stadt ohne Juden). Dans cette adaptation du roman du même nom sorti en 1922 d’Hugo Bettauer (qui vient tout juste d’être réédité chez les éditions Belfond), il prédit d’une manière glaçante de réalisme la montée à venir du nazisme en Europe, en mettant en scène une société où l’antisémitisme est devenu tel que des citoyens demandent à un leader politique d’expulser les juifs de leur ville. On voit alors des familles se faire insulter et déporter.
Si le bouquin connut un succès considérable, l’histoire est un peu différente pour le film. Au départ, le long-métrage fait beaucoup de bruit, et est diffusé dans les cinq plus gros cinémas de la capitale autrichienne. Mais très rapidement, l’extrême droite décide de réagir. Des groupuscules viennent déranger des séances, balançant notamment des boules puantes. Certaines villes en viennent à interdire le film. Pendant ce temps, une campagne de haine est menée contre Hugo Bettauer, qui finit par être tué en 1925 des mains d’Otto Rothstock, un ancien membre du parti nazi qui s’en tira avec une peine de prison ridiculement courte.
Une redécouverte nécessaire
Comme beaucoup d’autres films muets de cette période, l’œuvre tombe dans l’oubli total. La Filmarchiv Austria, qui estime par ailleurs que 90 % des réalisations de l’époque ont disparu, avait retrouvé une version néerlandaise abîmée et incomplète des années 1930, en 1991. Jusqu’à ce jour de 2015, lorsqu’un inconnu en trouve une copie bien plus complète… dans une brocante parisienne.
Ni une ni deux, une campagne de crowdfunding est lancée par la Filmarchiv Austria, qui veut pouvoir ressortir le long-métrage en version restaurée. La campagne récolte en deux mois plus de 85 000 euros, alors que l’extrême droite autrichienne manque de peu d’accéder au pouvoir. Une victoire importante par bien des aspects donc.
Le film devrait bientôt faire le tour des cinémas d’Autriche et d’Europe. Une décision nécessaire selon la direction de la Filmarchiv Austria. Car même si Hugo Bettauer a toujours affirmé avoir écrit une œuvre divertissante et satirique qui essayait de rendre les citoyens plus tolérants, ce livre et son adaptation n’en restent pas moins “une des déclarations anti-nazis les plus puissantes de la période des films muets”, explique Nikolaus Wostry, directeur des collections de la Filmarchiv Austria à la BBC.