Trois ans après Love, le cinéaste Gaspar Noé arpente une nouvelle fois la Croisette, à la Quinzaine des réalisateurs cette fois, pour y présenter Climax, un trip sous acide dans lequel une troupe de danse dévisse collectivement. Une bombe.
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Le secret était total. Pas un seul teaser n’avait filtré. Pas même une malheureuse photo promotionnelle. De Climax, le nouveau long-métrage de Gaspar Noé, nous ne savions (presque) rien avant de le découvrir, avec excitation, ce dimanche matin, à 8 h 45, à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.
Autant dire que ceux qui avaient oublié de s’enfiler un café n’ont pas eu de souci à se faire : le réveil a été tonique pour eux, comme pour tout le monde. Il faut bien avouer que le film, atomisant, a déboulé à l’allure d’un TGV pour nous emboutir frénétiquement. Et n’allez surtout pas écouter les grincheux qui s’offusqueront de ce choc à grand renfort de : “Oh la la, l’histoire tient sur un timbre-poste.”
Fuyez-les, pardi ! Le scénario n’a d’ailleurs jamais été la force (ou même la priorité) du cinéaste italo-argentin de 54 ans. Depuis ses débuts, l’intéressé revendique un cinéma de l’instinct, organique, qui n’obéit à aucun schéma préconçu. À l’instar de Climax, qui est né d’une idée simple et obsédante : un groupe de danseurs se retrouve dans un bâtiment isolé pour préparer un spectacle (avec option météo neigeuse dehors).
Avant d’aller à la rencontre de cette joyeuse bande, Gaspar Noé lance les hostilités avec un plan de toute beauté, immortalisant une jeune femme en sang, se mouvant, agonisante et épuisée, dans la glace. La minute d’après, il balance le générique de fin en guise d’intro, clin d’œil et signe avant-coureur d’une structure narrative forcément diffractée, brouillée.
Harmonie puis chaos
C’est rare de le voir calme, zen. Et pourtant ! Noé introduit en effet Climax avec une certaine douceur. On découvre une vieille télévision qui diffuse les images des danseurs. À tour de rôle, ces derniers se présentent, façon casting. Ils sont jeunes, transcendés, habités. Ils veulent en découdre. De part et d’autre du poste siègent des livres et des VHS, parmi lesquelles Salò ou les 120 journées de Sodome, Un chien andalou ou La Maman et la putain.
Des choix précis, traduisant quelque chose de l’histoire à venir comme de la teneur des références du metteur en scène. Lequel déploie bientôt un plan séquence – le seul moment chorégraphié et travaillé en amont — absolument vertigineux. Sa troupe de héros danse dès lors à en perdre haleine face à un grand drapeau français. Voguing, waacking, krump. Gesticulations, mouvements lascifs. La caméra les piste et magnifie leur langage corporel.
Tout va bien pour cette jeunesse plurielle qui fait bloc. En apparence, tout du moins. Car, très vite, une étrange substance contenue dans leur sangria s’infiltre dans les cerveaux. Le générique du début intervient à cet instant. Une manière de nous dire : “Les amis, la fête va commencer.” Et ça tombe bien : on est venus pour ça.
Gaspar le sait, raison pour laquelle il a pris le temps de nous montrer les lieux, d’installer l’ambiance, comme pour mieux faire jouer notre imaginaire, pour nous interroger sur la suite des événements, sur la façon dont chaque canapé, chaque mur, chaque encoignure, se recouvriront de sueur, de sang et d’autres fluides. Peu à peu, les dérapages s’épanouissent, les tensions s’installent. Les effets de la drogue accouchent d’une multiplicité de réactions (en chaîne). La bérézina est en marche.
Le tumulte horrible et poétique
L’anarchie, le chaos, le désordre, les déviances des nuits sous psychotropes, les ressauts chamaniques… Gaspar, éternel ado génial qui fait joujou avec la caméra, donne libre corps à ses visions, à ses fantasmes, à sa représentation d’un cauchemar sous acide, nimbé de néons, dans lequel le sordide tutoie le poétique, l’absurde pactise avec l’amour.
Pareil à un jeune chimiste fou qui prendrait le cinéma pour un alambic et les acteurs pour des éléments de Mendeleev, il verse, touille, fait péter. En quinze jours de tournage, il a réussi à célébrer l’urgence de vivre, à nous la faire ressentir, en trouvant une distance convenable entre l’extase et la chute. Une fois n’est pas coutume, Benoît Debie apporte une lumière démentielle à ce voyage.
Ses couleurs insensées modifient la texture des lieux et accompagnent la mise en scène parfaite de Gaspar Noé qui, habilement, mute à mesure que les neurones grillent. Les mouvements se font plus abscons, plus insaisissables, participant à cette volonté d’embarquer le spectateur dans un état de transe – maintenu par une bande originale dingue — et d’angoissante volupté.
Les cinéastes de cette trempe ne courent pas les rues. Peu d’entre eux sont capables d’offrir une telle expérience, radicale, totale, au service des sens. Climax sortira en salles le 19 septembre prochain. Accordez-lui une danse (sans sangria). Vous verrez, le jeu en vaut vraiment la chandelle.