Avant de se matérialiser en casque design et futuriste, la réalité virtuelle a connu son lot d’appareils improbables, d’expériences artistiques et de personnages visionnaires. Au fil des décennies, le concept s’est affiné, le rêve est devenu réel. Retour sur 70 ans d’un parcours tumultueux mais passionnant.
Propulsée en haut de l’affiche en cette année 2016, notamment dans le domaine du jeu vidéo, la réalité virtuelle n’a pourtant pas toujours été en odeur de sainteté. Technologie trop coûteuse, matériel lourd et inesthétique, il y a quelques décennies personne n’aurait parié un kopeck dessus. Heureusement des pionniers ont, par leur pugnacité et leur prosélytisme virtuel, réussi à imposer peu à peu la VR dans les mœurs. Morceaux choisis.
La préhistoire de la réalité virtuelle
Si l’on devait dater au carbone 14 la VR, on remontrait en 1956. A cette date Morton Heilig met au point un dispositif de cinéma immersif appelé Sensorama. Un appareil ressemblant à un photomaton dans lequel le spectateur prend place, et où lui sont projetés des films en relief avec un son stéréo, de l’air et des des odeurs en fonction de la narration. Le tout équipé d’un siège vibrant, histoire d’être complètement immergé dans l’action. Le Futuroscope avant l’heure. Un coup d’essai qui restera à l’état de prototype.
Quand on aperçoit en 1965, « The Ultimate Display », la première mouture d’un casque de VR portable, il est aisé de comprendre la relative mésestime autour de cette technologie. Si lourd qu’il est soutenu par un bras accroché au plafond, ce casque, imaginé par Ivan Sutherland, est doté de capteurs ultrasoniques, stéréoscopiques et de deux écrans cathodiques. Son petit surnom ? L’épée de Damoclès, c’est dire.
La naissance de l’art interactif
Dans la longue liste des informaticiens visionnaires de la VR, Myron Krueger tient une place à part. Il est le premier à penser la VR sous le prisme de l’art. Il crée « Videoplace », un dispositif interactif qui répond aux mouvements et aux gestes du spectateur via un système élaboré de planchers sensitifs, de tablettes graphiques et de caméras vidéo. Les spectateurs dialoguaient directement avec les projections vidéo des autres spectateurs avec qui ils partageaient un espace commun. D’ailleurs, la terminologie VR est un anachronisme pour l’époque, la VR est un concept évolutif qui portera de nombreux sobriquets. Myron Krueger, lui, parle alors de « réalité artificielle ». Arthur Rimbaud likes this.
Capitain America : First Avenger
En pleine période de guerre froide, tous les moyens sont bons pour prendre un coup d’avance sur les hommes au couteau entre les dents. De nombreux prototypes de casques seront alors mis au point par la NASA notamment pour entrainer les pilotes de combat de l’armée américaine. On peut citer le VCASS (Virtually Coupled Airborne Systems Simulator) appelé aussi “Darth Vader”, à cause de sa ressemblance avec le masque du célèbre seigneur Sith. Ce casque affiche devant les pilotes des informations de vol sous une forme simplifiée.
En 1984, Michael Mc Greevy initie le programme « Virtual WorkStation » pour la NASA. Le but est de simuler une exploration de la planète Mars dans le cadre de la course à l’espace, cet affrontement égotique entre les États-Unis et l’Union soviétique.
« Le prêt-à-porter informatisé »
Alors à son apogée, le studio de jeu vidéo Atari crée en 1982 un laboratoire de recherche, rampe de lancement de nombreux pionniers de la réalité virtuelle, dont Jaron Lanier et Thomas Zimmerman. En 1984, les deux compères fondent leur propre société VPL Research qui popularise les premiers accessoires de VR comme le Data Glove, l’Eye Phone, et le Audio Sphere.
Le plus populaire d’entre eux, le Data Glove, est un gant capable de traduire le degré de flexion des doigts en signaux électriques grâce à des fibres optiques glissées dans les mailles. Le terme de réalité virtuelle se popularise alors peu à peu grâce à la commercialisation de ces collections de « prêt à porter informatisé » pour reprendre la formule générique de Jaron Lanier.
La VR dans le jeu-vidéo, le faux départ des années 90
Jonathan Waldern, un croisement entre un scientifique et un marchand de tapis, expose lors du Computer Graphics de 1990 à Londres sa borne d’arcade « Virtuality ». En s’installant, le joueur enfourne un casque muni de deux écrans, d’un système de tracking et d’un micro.
Le système tournait alors avec la Rolls-Royce de l’époque, l’ordinateur Amiga 3000. L’engouement de la presse et du public est total. « Virtuality » fera le bonheur, et la richesse, des propriétaires de salles d’arcade dans le début des nineties.
1995, pas le groupe de rap mais bien l’année, est une date curieuse pour la VR. Cette année là, pas la chanson mais toujours l’année, quatre dispositifs de VR sont annoncés, mais aucun ne rencontrera un réel succès. La société Virtual I-O lance ses I-Glasses, et ceci n’est pas une révolution. Ce dispositif nauséeux aura tout de même le droit à une vidéo de présentation de 10 minutes.
Le VFX-1, développé par Forte Technologies, aurait pu être une rampe de lancement pour le loisir VR, mais à cause de la pauvreté de son catalogue de jeu et de son prix – 7 000 francs ! – ce casque restera un fantasme pour de nombreux gamers.
S’ensuivent alors deux échecs retentissants pour les deux mastodontes du jeu vidéo de l’époque : Nintendo et Sega. Le premier annonce en 1991 le Sega VR a grand coup de renforts marketing. Produit, testé par le public et annoncé pour 1995, le casque ne sortira pourtant jamais. Le Sega VR fait partie de ses mystères de l‘humanité vidéoludique.
Enfin, l’échec commercial le plus connu se nomme : le Virtual Boy de Nintendo. Ce n’est ni plus, ni moins la console la moins vendue de toute l’histoire de la firme nippone. La raison ? Son écran offre des graphismes sommaires et un affichage monochrome rouge et noir déconcertant pour les yeux. Sans une caisse de Doliprane à côté de soi, impossible de jouer plus de trente minutes. La VR et le jeu vidéo ont tellement suscité de fantasmes auprès des joueurs que la déception est terrible en cette fin de millénaire.
Pourtant la presse spécialisée ne tarie pas d’éloges sur la technologie. De nombreux magazines annoncent la VR comme l’avenir immédiat du jeu-vidéo. Mais le problème reste le prix élevé des casques. Le grand public n’a que peu de moyen de pouvoir tester le produit avant de l’acheter. Résultat, les ventes ne suivent pas et les constructeurs ne récupère pas leurs investissements de départ. Le soufflet retombe, le marché n’est pas prêt.
La VR fait son télé-crochet
Pour être totalement exhaustif, il est intéressant de comprendre comment la VR est devenu petit à petit une technologie connue de tous. Un crochet par l’univers de la télévision est donc nécessaire. Dans les années 90, la réalité virtuelle est une affaire d’initiés dans l’Hexagone. Le consommateur lambda ne connait pas cette technologie. Le visionnaire Alain Guyot crée en 1990 la société de production Medialab afin de populariser la VR. Il est persuadé que les systèmes d’animation en temps réel sont l’avenir de la télévision. Il est d’ailleurs à l’origine de la première présentatrice virtuelle française, Cléo, animée en temps réel et en direct sur Canal +. Grâce à l’émission C+ Cleo, n’importe quelle madame Michu peut au fond de son sofa se rendre compte de la révolution qui est en marche.
Et maintenant, la VR avec Playstation
Le jeu-vidéo du début du millénaire s’intéresse plus à une autre forme d’interactivité : celle dans l’espace du salon. Car malgré la déception des années 90′, le rêve des joueurs n’a jamais perdu de sa force. Le 13 octobre prochain sort le PlayStation VR. Le casque de réalité virtuelle qui permet de satisfaire à la fois les mordus de jeux-vidéo mais aussi les curieux, avides de découvrir des divertissements d’un genre nouveau.