Rencontre avec un Italien déterminé qui a raconté, dans L’Affranchie, l’histoire d’une de ses amies, échappée de la communauté des témoins de Jéhovah. Un beau film à découvrir en salles dès le 19 avril.
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Après avoir expérimenté les courts-métrages et les documentaires, Marco Danieli, italien comme son nom mélodieux l’indique, présente maintenant son premier long-métrage de fiction qu’il a mis des années à produire. Pour jouer son “affranchie”, il a déniché Sara Serraiocco, une jeune fille membre des témoins de Jéhovah qui quitte sa communauté pour vivre un amour interdit et s’enfonce, peu à peu, dans l’illégalité.
Le cinéaste réunit ici, sans clichés, la drogue et la religion avec un soupçon de douceur et de poésie symbolique. Ce premier film de fiction, d’une beauté époustouflante, pointe un mode de vie extrême, pour raconter l’émancipation d’une jeune fille, enfermée dans sa prison familiale et idéologique.
Inspiré d’une histoire vraie, L’Affranchie promet une belle carrière à ce cinéaste passionné. Obsédé par le réalisme, le cinéphile italien, autant marqué par Jacques Audiard que Martin Scorsese, a rendu visite aux témoins de Jéhovah pour comprendre le fonctionnement de cette communauté repliée sur elle-même.
Venu présenter son film en France, il nous a raconté son parcours atypique : fils d’un éducateur en milieu carcéral, il a refusé de devenir acteur pour raconter des histoires fascinantes.
Konbini | Vous êtes une découverte pour nous en France. C’est votre premier long-métrage : comment-êtes vous devenu réalisateur ?
Marco Danieli | Quand j’étais enfant, j’ai changé de ville à cause du travail de mes parents. Je suis donc arrivé à Pérouse, en Italie, où je suis resté de 11 à 24 ans. Et pour m’intégrer à la ville, mes parents m’ont inscrit dans un cours de théâtre, chose que je n’aimais pas du tout, mais j’y suis resté pendant huit ans. Ensuite j’ai commencé à faire des films, de manière totalement autonome, sans formation.
J’ai fait des vidéos, des documentaires, des courts-métrages. Et puis un peu tard, à 27 ans, j’ai réussi le concours de l’École nationale de cinéma à Rome, l’équivalent de votre Fémis. J’ai été formé pendant quatre ans, ça m’a permis de me faire des relations… Après différentes expériences, j’ai ensuite pu faire mon premier film.
Vous vous êtes formé tout seul ? Vous devez être un vrai passionné. Quelles sont vos références ?
Mes goûts sont plutôt éclectiques. Nous, les Italiens, on a un peu le cinéma néoréaliste dans notre ADN mais je peux aussi bien citer Jacques Audiard que Martin Scorsese en revanche, pour moi, il n’y a pas un réalisateur en particulier qui soit plus important que les autres.
Pour en venir à L’Affranchie, on ne peut pas s’empêcher de penser à votre dernière réalisation, Luce Propria. Vous aviez alors opté pour le format documentaire pour parler d’une jeune fille et de ses rêves. Pourquoi avoir placé, cette fois, votre héroïne dans le mouvement des témoins de Jéhovah, réputé sectaire ?
C’est vrai que j’ai fait beaucoup de documentaires mais je n’ai pas une vocation particulière pour ce genre. Selon moi, je suis même meilleur pour la fiction. J’avais commencé à écrire le scénario de L’Affranchie quand j’ai tourné Luce Propria, et je les vois comme deux sujets différents, mais c’est vrai que les histoires sont assez proches, car la jeune fille du documentaire est très religieuse, catholique.
En ce qui concerne L’Affranchie, c’est parti du récit d’une amie qui a vécu une histoire très similaire. Elle était chez les témoins de Jéhovah et quand elle a eu 18 ou 19 ans, elle a rencontré un jeune homme qui était un petit dealer, un jeune “homme du monde” pour reprendre la formule utilisée par les témoins de Jéhovah. Ce garçon lui a permis de sortir des témoins de Jéhovah mais elle a dû s’en “émanciper” à son tour parce qu’elle risquait de tomber d’une dépendance à une autre. Son histoire nous a inspirés, mais on l’a beaucoup romancée.
C’est un projet qui remonte donc à très longtemps ?
Oui. Mais c’est souvent le cas pour les premiers films. Le scénario était fini trois ans avant le tournage. Nous avons perdu beaucoup de temps avec la production, j’ai d’abord tourné une sorte de bande-annonce de court-métrage avec l’actrice principale, chose qui m’a permis d’aller chercher l’argent et de convaincre les autres acteurs de rejoindre le projet.
Vous êtes donc parti du témoignage de votre amie, mais j’ai cru comprendre que vous vous étiez beaucoup documenté. Vous avez rencontré des membres, vous vous êtes infiltré ?
On avait un consultant qui était un ancien témoin de Jéhovah qui relisait chaque mouture du scénario. Ça nous permettait d’être précis pour décrire l’univers qu’on avait envie d’aborder. À la base, on voulait faire un documentaire, on a donc commencé à faire des entretiens, sans les filmer et puis on s’est dit à un moment donné qu’on irait dans une “salle du royaume” comme ils l’appellent, là où ils font des assemblées, des études bibliques, etc.
“Comment va t-on faire, par quel prétexte va t-on se rendre là-bas ?”
Et ils vous ont accueilli comment ?
On était face à un problème moral quand même : “Comment va t-on faire, par quel prétexte va t-on se rendre là-bas ?” Finalement on a dit la vérité et, à notre grande surprise, on a été très bien accueillis. On n’a pas changé la structure du scénario, mais ça nous a apporté plein de petits détails qui nous ont permis d’être plus réalistes. Le seul souci qu’on a eu, c’est qu’ils voulaient faire de nous leurs nouveaux prosélytes. Ils ne peuvent pas résister à essayer de convertir les nouveaux venus, à chaque fois.
J’imagine que vous avez découvert plein de choses. Y a-t-il des choses qui vous ont fait réfléchir ou qui vous ont choqué, que vous n’avez pas mis dans le film ?
En fait, on a mis très peu de choses par rapport à tout ce que l’on a mis dans le film parce qu’il y a une économie narrative, propre aux films de fictions qui oblige à élaguer beaucoup. Par exemple, on a rien dit sur toute la question du sang. Pour nous c’était important de ne pas ridiculiser les gens, de ne pas leur donner une image grotesque des témoins de Jéhovah parce que quand on a un point de vue laïc, il y a beaucoup de choses qui prêtent à sourire comme le fait que les dessins animés sont proscrits. Regarder Les Schtroumpfs, par exemple, c’est interdit. On avait envie d’avoir un regard tridimensionnel, pour donner du relief aux choses. On a voulu pointer les aspects controversés de cette religion, mais sans caricaturer les personnes.
J’imagine que ça devait être dur de trouver une actrice qui peut montrer ces deux visages. Vous dites pourtant que vous avez tout de suite trouvé votre héroïne, qu’avez-vous vu chez Sara Serraiocco ?
Quand on a fait le court-métrage promotionnel, on a fait un casting provisoire, en fait elle-même était provisoire. Je l’ai bien expliqué à tout le monde. C’est une comédienne qui avait fait Salvo, où elle jouait une jeune fille aveugle. Elle me plaisait car elle avait quelque chose de très expressif, elle a un jeu très naturaliste qui convient beaucoup au cinéma. Même si aujourd’hui elle a fait différents films, elle a une certaine technique, qui ne se voit pas. C’est une actrice très mystérieuse et singulière. Ça me semblait correspondre à ce personnage qui a un peu de spiritualité dans les yeux.
Un grand merci à Olivier Favier pour la traduction.