FRENCHMEN #10 : Nusky & Vaati, ovnis hip-pop timides et sans complexes

FRENCHMEN #10 : Nusky & Vaati, ovnis hip-pop timides et sans complexes

Ils représentent la nouvelle vague du rap français. Freestyles, interviews, photos : de leur style à leur flow, voici les FRENCHMEN, par Konbini. Après Prince Waly, Demi Portion, Siboy, Sofiane, Sianna, Roméo Elvis, Ichon & Bon Gamin, Josman, et Phénomène Bizness… un autre duo, atypique : Nusky & Vaati. 

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Nusky & Vaati est un groupe pas comme les autres. Un duo qui ne fait qu’un, venu au monde en surprenant son entourage, que ce soit à l’école ou dans le rap. Dégaine atypique, les deux grands ados ne parlent pas d’une enfance galère, si ce n’est la froideur de certains regards à leur égard. Depuis, ils ont grandi, dans leur bulle, évoluant en jeunes adultes acceptés pour leur savoir-faire.

Des lignes brutes qui ne sont pas bien écrites par hasard, couplées à des accords alchimiques… Nusky à la voix, et Vaati à la prod’, cassent les barrières du rap classique en conjuguant hip et pop dans un savant mélange fait de textes et de mélodies d’une autre dimension. Après deux EPs, Lecce (2014), Swuh (2015) et leur suite, Bluh, sortie le 17 février 2017, le tandem parisien rempli les critères des #FRENCHMEN : n’avoir sorti aucun album avant 2017.

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Autre règle à accomplir : le freestyle, ici appliqué à la lettre avec une performance aussi libre que tarée de la part de Nusky, sur une prod’ exclusive signée Black Stars – beatmaker attitré de cette série –, joliment remixée par Vaati.

On s’est ensuite posés pour parler de leur jeunesse, de culture geek, de leur rencontre, leurs débuts, et de musique, bien entendu. Dans une interview à lire au bas du freestyle.

“Tu te lèves pour les crasseuses, je me lève pour les croissants”.

Konbini | Yo ! Tout d’abord… quel freestyle.

(rires)

Nusky | Lourd, cool que t’aies aimé.

Quelques questions basiques avant d’enchaîner : quel est votre vrai prénom ? 

Vaati | Moi c’est… Simon.

Nusky | Moi c’est Raphaël, Raph’.

Quand et où êtes vous nés ? 

Nusky | J’suis né le 24 décembre 1994 à Fontenay-aux-motherfucking-Roses

Vaati | Et moi je suis né le 7 juin 1996 à Saint-Germain-en-Laye, dans le 78.

Et vous formez un binôme de rappeur, Nusky, et producteur, Vaati. 

Nusky | C’est ça.

De Zelda The Minish Cap à Big Fish

Pourquoi Nusky & Vaati ? Présentez-vous. 

Nusky | Tous mes potes m’appelaient Skin, parce que je suis fin. Et Nusky en est une sorte de verlan.

Vaati | Moi c’est Vaati, et ça vient de Zelda The Minish Cap. C’est le nom du méchant dans ce jeu vidéo-là. Et j’aime beaucoup cet univers alors j’ai choisi ce surnom.

Culture geek, c’est cool. 

Vaati | On est une génération qui a grandi avec Internet. On a vu plein de films assez jeunes aussi, grâce à nos parents qui s’intéressaient beaucoup à la culture. On aime la culture dans toute sa splendeur, et effectivement, ça joue dans la manière qu’on a de faire de la musique.

Nusky | J’ai l’impression que la Terre entière a baigné dans Dragon Ball Z, Pokémon, tout ça. Ça nous a marqué jusque dans notre subconscient. C’est cool que la jeune génération ait ces références-là, de la Chine à Corbeil-Essonnes.

“J’ai toujours ressenti le fait d’être un enfant bizarre” – Vaati

Quels films vous caractérisent le plus ?

Nusky | (réfléchit)…

Vaati | J’en ai deux, très mainstream mais bon : Into The Wild et Forrest Gump.

Pourquoi ces deux films ?

Vaati | Parce que j’ai toujours ressenti le fait d’être un enfant bizarre je crois.

Du coup la musique devient une sorte de refuge. 

Vaati | Ouais c’est ça, tu te crées ton propre monde.

Et toi Nusky ?

Nusky | Ah moi j’ai du mal à dire… j’suis très fan de thrillers, de trucs un peu dark, mais ça me correspond pas à moi. J’suis vachement plus noir dans mes goûts que dans ma personnalité. J’suis vachement fan du cinéma coréen aussi…

Bon il y a un film qui m’a vraiment marqué, c’est Délivrance. C’est des mecs qui veulent descendre une rivière aux États-Unis, il se passe des trucs absolument immondes et… ils finissent par tous crever.

(rires)

Ah si, ah si voilà ! J’ai trouvé un film : j’suis pas spécialement fan de Tim Burton mais Big Fish c’est un film dans lequel je me reconnais quelque part.

Vaati | Très lourd film.

Quand tout part d’un freestyle

Vous vous êtes rencontrés comment ?

Vaati | On s’est rencontrés en février 2014. Il m’avait envoyé un message sur Facebook après avoir entendu une de mes prods qu’il avait bien aimée. Et de là, on s’est vus en réel pour la première fois, c’était un jour où j’allais en studio enregistrer un freestyle avec plein de rappeurs. On a bu un café puis on y est allés à deux, et finalement Nusky a fini par enregistrer un couplet sur ce fameux freestyle.

Et quelques mois plus tard il m’avait envoyé des maquettes qu’il avait enregistrées avec son groupe, La Race Canine, je commençais vraiment à kiffer. On s’est vus un peu plus régulièrement et on a fait notre premier EP ensemble, un trois titres qui s’appelle Lecce. Sans même avoir l’idée de former un duo concret, d’où l’association de nos deux noms. Après ce premier EP, on eu envie de refaire de la musique ensemble alors on a fait Swuh, et Nusky & Vaati est devenu un duo à part entière.

Nusky | Si on savait dès le début qu’on allait finir par former un groupe, on aurait peut-être choisi un autre nom. (rires)

Et ça s’est passé comment ce freestyle au fait ? 

(rires)

Vaati | C’était sur un vieil EP à moi que j’ai même supprimé depuis, je pense. Et il devait y avoir 20 rappeurs que j’avais réunis, de cette jeune génération à l’époque. Des mecs qui avaient entre 17 et 20 ans quoi.

Y en a qu’on retrouve aujourd’hui dans le paysage musical ?

Vaati | Quelques uns oui, il y a Les Tontons Flingueurs, Panama Bende… Ils étaient sur ce son, avec Nusky. Un truc que j’avais enregistré en trois fois, hyper galère.

Nusky | (rires) J’te jure, j’me suis ramené au studio il y avait 20 mecs en train de rapper et tout.

Vaati | Dans un petit studio minuscule, à Ménilmontant.

Nusky | Moi j’étais content de mon 16 hein (rires).

Vaati | Ouais il était vraiment bien, archi cool !

C’était l’un des premiers textes que tu grattais, Nusky ?

Nusky | Pas l’un des premiers que je grattais, mais ouais l’un des premiers que j’enregistrais en cabine.

Vaati | Ah ouais ?

Nusky | Ouais ouais, je me demande même si c’était pas le premier… Franchement là, tu viens de me faire comprendre que c’est la première fois, je crois, que j’ai posé en cabine. Sinon ça faisait un an et demi que je rappais pratiquement tous les jours.

“Faut noircir le trait”

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire de la musique ?

Vaati | Moi j’faisais de la guitare et j’ai toujours voulu avoir un groupe et faire des morceaux. Plus rock, folk même un peu. Sinon pour le rap, c’est quand j’ai découvert 1995 et Wiz Khalifa, que j’ai plongé dedans. Et au même moment j’avais installé un logiciel de musique dans mon ordinateur, et d’un coup j’avais plus besoin d’un batteur, d’un bassiste, etc. ; je pouvais faire un morceau entier sur mon ordi’, tout seul.

En autodidacte ? 

Vaati | Ouais ouais c’est ça.

Et tu t’y es mis quand à la prod’ ?

Vaati | C’était en seconde, j’avais 15-16 ans.

Maître Gims, Bob Dylan & Young Thug

Et toi parallèlement ? 

Nusky | Et moi… j’ai rencontré un guitariste quand j’étais en sixième, on a fait de la musique ensemble pendant tout le collège. Après on a eu un groupe de rock quand j’étais en seconde, on a même fait les tremplins et tout. Et puis ça s’est essoufflé un peu. En fait j’écrivais en anglais, enfin pas vraiment, c’était beaucoup de yaourt mais ça passait (rires). Je savais que ça n’allait pas dans la bonne direction, et un jour j’ai un pote à moi, Kevin, d’un autre univers, qui fait un couplet devant moi.

Et je savais tellement pas que c’était ça le rap… j’écoutais pas de rap, sauf un son ou deux qui me plaisaient mais sinon rien. Ce pote m’a fait kiffer le rap et je me suis dit “vas-y faut je le fasse aussi, viens on fait un truc”. De là j’écris mon premier texte en français et je savais que c’était ça le truc, c’était évident et trop cool de s’exprimer en français, ce que je n’arrivais pas à faire avec le rock. C’est John Lennon je crois qui disait ça… “Le rock français, c’est comme le vin anglais” (rires).

J’aime bien aussi les artistes qui écrivent avec des images, c’est ce que je préfère dans l’écriture. Autant Maître Gims que Bob Dylan.

Du coup, quand vous vous êtes mis sérieusement au rap, ça s’est passé comment ?

Nusky | Quand j’ai commencé à rapper, je croyais que j’allais faire un truc politiquement correct, chill, que j’allais parler de ma vie… En adoucissant un peu les choses. Et plus j’ai avancé dans le rap plus j’ai compris que c’était en fait le contraire qu’il fallait faire.

“Si tu rappes bien, on te respecte”

Faut noircir le trait en vrai, niveau écriture, c’est là que c’est intéressant. C’est ce que j’aime dans le rap d’aujourd’hui, des mecs qui sont francs avec des trucs que t’as pas trop envie d’avouer, que tu ne dirais même pas à tes parents. Mais tu le dis dans un son, et là c’est cool. Quand j’ai compris ça, ça m’a fait évoluer dans le rap.

J’ai l’impression en tout cas que tous ces codes qui étaient là avant, basés sur des trucs tellement pas musicaux, faisaient plus couler le rap qu’ils ne l’aidaient à aller dans la bonne direction. C’est bien d’avoir une culture, mais tout doit avancer, tout le temps, tout change.

Quel artiste rap t’a frappé plus que d’autres ?

Celui qui m’a vraiment mis la claque de ma vie dans le rap, c’est Young Thug, et là on parle d’un mec… il dit des trucs frère (rires). Moi je dis pas des trucs comme (rires). Quand tu le vois s’habiller comme il s’habille, parler de drogue comme il parle de drogue, de meufs comme il parle de meufs : je me suis dit ok, là y a un truc sincère, sans filtre, qui est autre que juste être thug.

C’est cool parce que vous montrez aussi que le rap est plus ouvert que certains peuvent le penser. 

Nusky | C’est clair, et ce qui est cool c’est que si tu rappes bien, on te respecte. Même si t’es un toubab, même si t’es habillé en chemise, que tu ne viens pas de ce milieu, que t’habites dans le 16e… si tu rappes bien frère, les gens te regardent et ils kiffent. Ils te respectent. Évidemment, après, il y aura toujours des rageux pour critiquer mais je crois qu’il y a quand même un truc de méritocratie où c’est pas gagné.

“On a moins de complexes à faire du rap”

Vaati | Nous on arrive après la guerre, il y a plusieurs codes dans le rap qui ont été cassés. Je pense qu’il y a aussi 1995 qui a ouvert pas mal de portes.

Nusky | Du coup on a moins de complexes à faire du rap.

Vaati | En tout cas, je ne me sens pas si proche que ça du monde des beatmakers, ou du monde des rappeurs. Même s’il y a plein de groupes qu’on aime et dont on se sent proches.

Nusky | C’est différent. Peut-être que moi je m’inscris plus dans un truc rap… quand je fais un truc sur une prod’ de quelqu’un d’autre. Là, je ne suis pas dans le même mode que quand on fait de la musique avec Vaati.

Vaati | On fait un truc vraiment libre.

“Quand j’ai les accords, j’ai l’intention et l’humeur du son”

Il y a une complicité entre vous qui se ressent dans ce mélange réussi entre prod’ et textes. Ensemble, vous travaillez comment ? De la première note à la dernière syllabe…

Vaati | J’adore le rythme, j’aime le mixage et j’aime chaque partie de la création d’un son mais ce qui m’excite le plus dans la musique c’est les accords et l’harmonie. En premier lieu je trouve la suite d’accords, ça va former la base du morceau, la première répétition. Et une fois que j’ai ça, je peux commencer à chercher des idées de rythmiques, ou bien explorer des sons pour trouver le mood que je peux donner à ces accords, ou alors simplement chercher des mélodies qui pourront servir pour un futur refrain ou un pont, puis les harmoniser, etc.

À partir du moment où j’ai mes accords, j’ai l’intention et l’humeur du son. Et après ça il reste tout le morceau à faire autour de cette suite ou de ces suites d’accords, donc je commence à instrumentaliser, chercher des idées de mélodies, de basse, d’arrangements, de structures et les possibilités sont infinies. Alors j’aime prendre énormément de temps pour explorer l’infini et emmener la compo le plus loin possible. Passer quatre mois sur une chanson me plaît.

Du coup je produis très peu en quantité, étant donné que je suis pas capable de faire 15 fois la même chose, répéter les mêmes schémas, les mêmes rythmiques etc. Je m’ennuie très vite.

Nusky | Il faut se surprendre.

“Quand j’ai mal, j’ai envie d’écrire”

Vaati | Oui voilà. Et généralement ça prend un petit bout de temps. J’ajoute des choses, des flûtes, des percussions… ensuite je travaille la structure et j’envoie le tout à Raph’, qui commence à écrire.

Niveau écriture, justement. Ce qui est bien chez vous, c’est de proposer des textes à la fois bien écrits et crus, très bruts… 

Nusky | Ouais grave, faut dire les choses franchement.

… avec des délires parfois psychés, psychologiques. Assez personnels au final, comme une sorte de thérapie. 

Nusky | J’ai du mal à l’avouer, à le concrétiser, que c’est vraiment une thérapie, mais j’avoue que… en tout cas, quand j’ai mal, j’ai envie d’écrire.

Rendez-vous demain soir pour le 11e épisode des FRENCHMEN.

Une série dédiée à Polo, force et courage. <3

Crédits :

  • Auteur du projet et journaliste : Rachid Majdoub
  • Direction artistique : Arthur King, Benjamin Marius Petit, Terence Mili
  • Photos : Benjamin Marius Petit
  • Vidéo (cadrage, montage) : Paul ‘Polo’ Bled, Mathias Holst, Simon Meheust, Redouane Boujdi, Adrian Platon, Maxime Touitou, Fanny
  • Son : Manuel Lormel
  • Remerciements : à tous les rappeurs ayant accepté de participer et à leurs équipes, à la team Konbini ayant aidé de près ou de loin, Lucille, Florent Muset, les attachés de presse cools, Julien Choquet pour la disponibilité de son enregistreur audio, Thomazi pour sa petite enceinte Supreme, XXL Magazine…