À l’occasion de la sortie de son nouvel EP, Princess, nous nous sommes plongés dans le monde enivrant d’Abra. Une planète onirique où se mêlent pop, R’n’B, électro et un soupçon de nostalgie. Rencontre avec l’une des artistes les plus prometteuses du moment.
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Il n’est pas chose aisée que de glaner des informations au sujet d’Abra. Pour le moment, Internet associe principalement ce nom à un petit Pokémon jaune asexué, connu pour ses pouvoirs psychiques. Pourtant, Abra est incontestablement devenue, en l’espace d’un an, l’une des princesses les plus actives du Web, dont elle a fait son royaume : un infini terrain de jeu dans lequel elle s’est créée, façonnée, et transcendée.
Née à New York puis élevée à Londres, Gabrielle (de son vrai prénom) débarque à l’âge de 8 ans à Atlanta, la ville la plus peuplée de l’État de Géorgie, où elle se sent paradoxalement isolée. “Au lycée, les gens qui pensaient qu’on se ressemblait, c’est-à-dire les Noirs, me disaient : ‘Tu parles comme une Blanche, tu n’écoutes pas de rap, tu n’es pas une des nôtres…'”, raconte la jeune femme. Ça a été une grande source de complexes pour moi, on voulait me faire rentrer dans une case.”
Alors, rapidement, Abra se réfugie dans les méandres d’Internet. D’abord sur YouTube, où elle reprend des hymnes de hip-hop à la guitare, puis sur Twitter, son réseau social favori, sur lequel elle se fait de “très bons amis“, comme une rappeuse et réalisatrice du New Jersey qui s’apprête à réaliser son prochain clip. Surtout, le monde virtuel l’aide à tester, expérimenter, et finalement trouver son identité artistique de façon libre, sans les pressions usuelles de cette machine écrasante qu’est l’industrie musicale :
“Avant l’arrivée d’Internet, tu n’avais que deux options : soit tu réussissais, soit tu échouais. Mais avec Internet, tu as le droit de te mouiller, de voir ce qui fonctionne, et ce qui ne fonctionne pas, sans pour autant te soumettre à un label. Du coup, j’ai pris confiance en moi de façon très naturelle.”
“Awful Records m’a donné un contexte dans lequel exister”
Forte de cette prise d’assurance, Abra intègre en 2014 Awful Records, jeune et prometteur label d’Atlanta dirigé par le rappeur Father, un ancien camarade de lycée. “Ça n’a pas été facile au début, car j’étais principalement entourée de mecs qui rappent, se souvient-elle. Mais c’était un défi qu’il fallait que je relève, et qui m’a aidée à trouver qui j’étais vraiment. Ils m’ont donné un contexte dans lequel exister.”
Après avoir dévoilé un premier EP, BLQ Velvet, la “Darkwave Duchess” – comme elle aime s’appeler sur la Toile – dévoile en juin 2015 un premier album, Rose, sur lequel on trouve le très bon “Fruit”.
Avec ce morceau, dont le clip cumule aujourd’hui près de 3 millions de vues sur YouTube, la chanteuse définit l’ADN profond de sa musique, une sorte de croisement électro-R’n’B futuriste, qui se caractérise par un son éthéré et une voix fluette, mais qui dégage dans le même temps un vif sentiment de nostalgie.
“Enfant, j‘ai été tenue à l’écart de la pop culture”
Cette identité musicale – qu’elle conçoit de A à Z en chantant et produisant –, on la retrouve sur “Cry Baby”, titre phare de son nouvel EP Princess, sur lequel les sonorités R’n’B se mêlent à des synthés qui rappellent instantanément les années 1980. Une impression de nostalgie renforcée par un clip intégrant mouvements de voguing, plans en VHS et Reebok Classics. “Je suis très nostalgique. J’adore ressasser les bons moments“, déclare-t-elle, avant de poursuivre :
“La musique des années 1980 et 1990 me rappelle une époque à laquelle je me sentais bien, donc j’essaie naturellement d’en injecter dans ma musique. Ma musique est une fusion de tout ce qui m’a influencée plus jeune.”
Elle précise :
“Mes parents étaient très religieux, ils ne nous autorisaient pas, moi et mon frère, à écouter de la musique non religieuse. Donc j’ai grandi en écoutant beaucoup de folk, de jazz, de l’instrumental, du flamenco… Enfant, j’ai été tenue à l’écart de la pop culture.
Et puis un jour j’en ai eu marre, alors j’ai commencé à écouter de la pop quand mes parents allaient se coucher. Puis j’ai écouté ce qui passait sur les ondes à l’époque : du Britney Spears, du Justin Timberlake, du Aaliyah, du TLC… ça, ça m’a vraiment modelée.
J’ai aussi beaucoup été influencée par la musique punk et rock que mon petit frère écoutait, des groupes comme Linkin Park, Blink-182, Green Day, Metallica, Three Days Grace… ça aussi, ça a fait écho en moi. Du coup, j’ai le sentiment que tout ça a créé un mélange entre le folk, le jazz, le funk, le rock, la pop et le R’n’B. Et que je me situe quelque part au milieu de tout ça.”
“Abracadabra !”
Voilà sans doute pourquoi Abra galvanise autant les foules : avec une musique qui évoque autant de genres, il n’est pas étonnant que la jeune femme séduise autant d’auditeurs, issus de bords culturels parfois très différents. À ses concerts, il n’est d’ailleurs pas rare de voir des kids s’organiser en mosh pit, comme nous en attestait en juin dernier sa comparse Tommy Genesis, avec laquelle elle partage de nombreux idéaux et une musique “rebelle”. “Avec Tommy, on est vraiment du genre : ‘J’en ai rien à foutre, je fais ce que j’ai envie de faire.’ On va toujours combattre le statu quo”, affirme la chanteuse.
Une attitude d’insoumise qu’Abra traîne depuis toujours, et qui a influencé le titre de son nouvel EP Princess, sur la pochette duquel elle se tient, fière et forte, à côté d’un cheval blanc, probablement ravi au prince charmant de ses rêves d’enfant :
“L’année dernière, mes parents m’ont avoué que quand j’étais gamine, j’étais vraiment autoritaire, du genre : ‘Ne me dites pas ce que je dois faire’, ‘Non je ne te donne pas la main’, ‘Je peux le faire moi-même !’ [rires]. Comme une princesse. Et c’est là que j’ai réalisé que je n’avais jamais changé – et ce en dépit du nombre de fois où j’ai tenté de le faire. D’ailleurs, sur Princess, je freestyle sur beaucoup de chansons, ce qui permet, à mon sens, d’exprimer de façon sincère la personne que je suis à l’intérieur.”
Les yeux levés vers le ciel, pleins d’une nostalgie qui semble ne jamais vraiment la quitter, Abra conclut :
“Tu vois, dans la musique, il y a une partie que tu contrôles totalement, et une autre qui t’échappes entièrement, et qui se transforme en quelque chose d’indescriptible, d’irréel. C’est pour ça que j’ai choisi ce nom de scène, Abra : c’est un surnom qui sonne un peu comme mon prénom, Gabrielle, mais qui fait surtout référence à la formule magique ‘Abracadabra’, qui signifie : ‘Je créerai d’après mes paroles’. Je crois que la musique est ce qui se rapproche le plus de la magie.”