C’est pour (enfin) aborder la culture au sein du Front National que Sébastien Chenu a été placé à la tête du “Clic”. Rencontre avec cet ex-UMP pressé de faire des arts et du patrimoine des questions auxquelles le FN a ses réponses.
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Il y a des choses sur lesquelles ont est d’accord à 100%, et des choses sur lesquelles on est d’accord à peut-être 50%. Mais les sujets sur lesquels on est d’accord à 100% sont plus nombreux et plus importants à mes yeux.
Les présidentielles de 2017 en perspective
Certes. N’empêche, un “collectif culturel” au service du FN, sorte de think tank des questions liées à l’art et au patrimoine, il faut reconnaître que ça nous a intrigué. Ainsi, on a tenu à s’entretenir avec Sébastien Chenu, afin de mieux comprendre comment il allait tenter de réconcilier deux ennemis de longue date : le FN et le milieu de la culture. Après nous avoir proposé de taper dans son paquet de Dragibus (“non merci”, déontologie oblige…) et commandé son café, le nouveau “Monsieur Culture” de Marine Le Pen passe au filtre de nos questions… et de nos vérifications. Bonne lecture.
K | Vous pensez que la réflexion autour de la culture manquait au FN ?
Sébastien Chenu | Oui, évidemment. Le FN a construit son identité sur les thématiques que vous connaissez déjà : l’immigration, l’Europe, la sécurité, etc. Mais Marine Le Pen a une volonté absolue d’arriver aux responsabilités en 2017, et elle a compris qu’elle y arriverait uniquement si son parti s’ouvrait, se transformait, et surtout proposait des réponses sur tous les sujets structurants de la société.
On s’est aussi aperçus que la gauche a abandonné la culture et le débat intellectuel. La droite ne s’est jamais vraiment intéressée à tout ça. Je le sais, en ayant été secrétaire national de l’UMP à la culture [ou plutôt à “l’exception culturelle”, sous le règne de Jean-François Copé, ndlr], j’ai bien vu que ça n’intéressait strictement personne.
Quels sont les chantiers sur lesquels vous travaillez ?
Cela va de la résolution du problème de l’intermittence dans le domaine du spectacle à la réforme des nominations dans l’audiovisuel public, en passant par l’exception culturelle, le droit d’auteur, la liberté sur internet, les mécénats populaires… On va essayer de faire des propositions. Là-dedans, Marine Le Pen piochera, et elle prendra ce qui l’intéresse pour son programme politique.
Le mécénat populaire au secours du patrimoine
Il y a une sous-partie du manifeste du Clic qui s’intitule : “Protéger notre Patrimoine pour mieux diffuser notre culture”. Quel est le plan ?
Ça fait partie des chantiers liés au mécénat populaire. On constate qu’il y a une grosse baisse du mécénat d’entreprise en France, avec la crise notamment.
C’est faux. Selon les rapports annuels d’Admical, l’association de référence du mécénat d’entreprise, c’est parfaitement l’inverse : alors qu’on comptait environ 800 entreprises mécènes en France qui injectaient en tout 1 milliard d’euros par an en 2006, on en compte 159 000 en 2014 qui dépensent 2,8 milliards d’euros.
On a ainsi considéré qu’on ne pouvait ni tout attendre de l’État dans la protection du patrimoine – qui coûte très cher –, ni tout attendre du monde de l’entreprise. En revanche, les Français sont très attachés à leur patrimoine. Et on s’est dit qu’il fallait qu’on développe des pistes pour encourager le mécénat populaire.
Il s’agit donc d’un détachement financier de l’État ?
Non, le mécénat populaire c’est l’idée d’encourager les Français à agir pour sauver leur patrimoine en échange de quoi ils auront un retour sur investissement, mais aujourd’hui si vous faites un don de 100 euros, quelle sera la déduction fiscale ? Aujourd’hui, elle est assez faible.
C’est son avis, pas le nôtre : on a calculé sur le site fondation-patrimoine.org : soumis à l’impôt sur le revenu, pour un don de 100€, 66€ sont déductibles (soit les deux tiers). Soumis à l’ISF, 75€ sont déductibles. Soumis à l’impôt sur les sociétés, 60€ sont déductibles.
Est-ce qu’on ne peut pas augmenter la déduction fiscale ? Il y a des tas de leviers sur lesquels on peut agir – pas uniquement au niveau de la fiscalité d’ailleurs. L’idée c’est de faire prendre conscience à chaque Français qu’il a une capacité à sauvegarder du patrimoine français.
Quel type de patrimoine serait concerné ?
Mais tous les patrimoines sur lesquels les Français ont envie de s’engager à préserver. Ça peut aller de l’église d’un village à un site industriel désaffecté qui a un intérêt patrimonial, en passant par la sauvegarde d’un château… Mais ce n’est pas à la puissance politique de décider de ce qui est beau et de ce qui est laid ; ça c’est subjectif. Le politique doit fixer des orientations, les assumer, les porter, et y répondre.
Au Clic, nous nous fixons des orientations très simples : valoriser, exporter, soutenir, développer, rendre accessible la création et le patrimoine français dans son ensemble.
Le Clic frileux à l’égard des cultures alternatives
Le Front National s’est illustré dans son opposition aux cultures dites “alternatives”. Au Clic, que pensez-vous des “sous-cultures” ?
Là encore il n’y a pas de volonté de censure, mais d’un autre côté il n’y a pas non plus l’obligation de tout subventionner.
Sur quelle base se fera cette sélection ?
Ce n’est pas au ministre de la culture de la faire. De toute façon, nous on ne soutient pas grand-chose, puisqu’on a très peu de collectivités à notre disposition [FN/RBM détiennent une douzaine de mairies en France, ndlr]. Donc il y a des festivals qui sont soutenus par des collectivités, des choix qui sont mesurés à l’aune de ce qu’un festival peut rapporter en termes d’image, en termes financiers… Ces choix-là, c’est aux élus locaux régionaux et départementaux de les faire.
En revanche il faut se demander qui doit porter la politique culturelle dans notre pays. Il y a évidement le ministre de la culture, mais aujourd’hui tout le monde en porte un petit bout : les régions, les départements, les communes… Nous sommes favorables à ce que les mairies et les départements soient davantage acteurs du monde de la culture. Ils sont plus près des attentes des habitants.
Aujourd’hui la culture portée par les régions, c’est devenu un bien souvent variable d’ajustement parce que les budgets régionaux sont désossés, et donc on fait baisser le budget de la culture. Parce qu’on ne voit pas forcément tout de suite l’intérêt d’un festival, d’un salon, d’un concert…
Encore une fois, c’est faux : le budget culture des régions n’a fait qu’augmenter en 1984 et 2010. Selon des documents de l’Association des Régions de France (ARF) et du ministère de la culture et de la communication, le montant du budget culture des régions entre 2006 et 2010 a progressé, “toutefois à un rythme beaucoup moins soutenu que celui observé depuis 1984”. Sur cette période, les données en accès public de la rue de Valois indiquent que les dépenses culturelles ont augmenté de 4,5% en valeur et de 3% en volume, en “tenant compte de l’inflation”.
C’est trop local pour la laisser entre les mains de la région ?
Oui, alors qu’une mairie va tout de suite savoir. Dans ma ville, à Beauvais, il y a un festival de violoncelle. On l’a fait transiter dans toutes les cités de la ville parce qu’on s’est dit : “Là il y a un truc génial : ça valorise la culture française, ça fait appel à des professionnels et ça permet de développer la pratique amateur”. Ça parle à tous les publics !
Donc c’est aux acteurs publics et aux acteurs locaux de dire ce qu’ils ont envie de soutenir dans l’intérêt de leur population, de l’image de leur ville. Moi je ne suis pas choqué si un maire dit : “Moi je n’ai pas envie de mettre un rond dans un concert de rap parce que je considère que ce n’est pas l’image dont j’ai envie pour ma ville”. Il a le droit de penser ça, il n’y a pas d’obligation à subventionner des cultures dites “alternatives” ou autres.
En revanche il peut y avoir des élus que ça intéresse. C’est aux maires de gérer ça. Moi je déteste l’idée de l’État qui s’immisce dans l’intellect et qui dit : “Ça c’est beau, ça c’est bien, ça il faut que…” et je déteste l’esprit moutonnier.
Rap, techno et FN
Pourtant votre parti ne s’immisce-t-il pas dans l’intellect quand il dit que le rap et la techno ne sont pas des expressions artistiques ?
Mais où est-ce que vous avez vu ça ?
Un peu partout. Sébastien Chenu a la mémoire courte : le programme du FN en 2002, tout comme celui des municipales de 2014 selon Var Matin, Le Figaro ou encore France 3, contenaient explicitement la phrase suivante : “Rap et techno, qui ne sont pas des expressions musicales, seront évidemment privés de tout soutien public”.
Vous savez, il y a des élus des Républicains (je peux vous citer des dizaines de noms) qui disent qu’ils détestent la techno et le rap. Ce qui serait inquiétant, c’est que tout le monde dise que le rap est formidable ou que la techno est formidable. Qu’il y ait des élus qui détestent ça, qui ne veulent pas les valoriser, c’est leur droit. C’est de l’argent public.
Mmm. Ces deux dernières phrases disent donc d’une part que “c’est de l’argent public” et d’autre part que c’est uniquement à l’élu de trancher. À méditer.
Vous ne prenez donc pas position pour nous dire si le FN considère aujourd’hui que rap et techno sont des expressions artistiques ou pas ?
On ne va pas dire : “Ça c’est une expression artistique à valoriser, ça c’est une expression artistique à ne pas supporter”. Ce n’est pas à nous de faire ça.
Aïe. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur le site du Clic pour s’apercevoir que son équipe éditoriale ne se prive pas de donner son avis sur la politique culturelle actuelle. Enfin… lorsqu’on parle d’équipe éditoriale, on évoque son quasi-unique rédacteur, Gabriel Robin, crédité en tant que “secrétaire général” du collectif, également rédacteur pour Boulevard Voltaire. Pour rappel, le site était condamné en novembre 2014 pour “provocation à la haine envers les musulmans”.
Gabriel Robin n’a pas de scrupules à employer des punchlines qui flinguent dans ses titres : Kapoor à Versailles ? “Un mémoricide” ; le projet de loi de Fleur Pellerin ? “Ridicule” ; France 2 est “au service de la propagande multiculturelle avec nos impôts”… Notons tout de même que d’autres acteurs du monde de la culture trouvent crédit aux yeux du Clic (ou de Gabriel Robin ?), nous vous en parlons plus bas.
Les élus FN ont jusqu’ici fait preuve d’une certaine antipathie à l’égard de ce type de manifestations culturelles…
C’est faux ! Demandez aux élus FN de Fréjus, d’Hénin-Beaumont, de Béziers, de Beaucaire ce qu’ils font. Moi j’ai regardé le programme culturel dans toutes ces villes : il y a de tout, on s’exprime de toutes les façons.
Il y a du rap ? De la techno ?
De la techno, ça j’en suis sûr. Ne serait-ce qu’à Hénin-Beaumont, il y en a parce qu’il y a un rapport très fort avec la Belgique dans le nord. Et la techno est très présente sur la scène belge.
En revanche là où il y a un problème c’est du côté de certains artistes qui n’acceptent pas de venir se produire dans des villes gérées par le Front national. On a des maires au FN qui disent : “venez chez moi, ça m’intéresse qu’il y ait un concert pour les jeunes”. Mais on a des gens, des tourneurs, des producteurs, des artistes qui disent non.
On a même des artistes très connus, qui disent :”Je le ferais bien, mais si je le fais, je vais me faire haïr par toute la profession.” Mais de toute façon, on connait ça très bien. Quand je suis arrivé au Front National, il y a des tas de gens dans le monde artistique qui m’ont tourné le dos. Je suis pourtant toujours le même.
Pensez-vous qu’il faille “sauver notre culture”, comme d’autres élus FN l’affirment ?
Oui, il faut sauver notre culture, évidemment. On considère que c’est un élément important de la politique que de défendre la création française, le patrimoine français, les acteurs du monde culturel, et le statut de l’intermittent.
Et là c’est (un peu) vrai. Si les articles de Gabriel Robin n’épargnent ni le rap, ni le ministère de la culture, ni les bouffonneries “conformistes et vaguement libertaires” des Guignols de l’Info, c’est pour mieux défendre certaines créations made in France dont la liste est, hum, plutôt large : dans le désordre, citons Fdesouche, l’humoriste François Rollin, les artisans, le groupe de punk La Souris Déglinguée, la musicienne électronique Chloé Thévenin, le polémiste Eric Zemmour, la télé locale TLT…
On est favorable à ce qu’il y ait un tel statut [d’intermittent], or s’il pouvait profiter vraiment aux artistes et non pas aux grosses boîtes de prod ou à Eurodisney, on pense que ça irait mieux. S’il y avait moins de monde qui accédait au statut, mais que la rémunération était toujours conséquente et permettait à ces artistes – qui sont souvent des gens du spectacle vivant – de pouvoir continuer, alors on aurait atteint notre but.
En Allemagne il n’y a pas de statut d’intermittent, et le spectacle vivant y est beaucoup plus pauvre. Moi, j’aimerais que dans notre pays on continue Les Tréteaux de France, qui se baladent dans les campagnes et font du théâtre [seul centre dramatique national itinérant en France, ndlr], mais aussi les festivals…
Nous on a aucune responsabilité dans ce qui se passe actuellement : les festivals qui ferment chaque saison… Ce n’est pas nous qui avons fait ces choix-là.
Mince, c’est encore faux. En témoigne, en juillet 2014, la fermeture de l’Amne’Zik Open Air Festival, un festival de musique techno qui aurait dû avoir lieu dans la ville de Luc-en-Provence (Var). Selon Var Matin, le maire FN de la ville, Philippe de la Grange, a en effet “bataillé ferme” pour l’obtenir, invoquant pêle-mêle des prétextes tout aussi disjoints que le “risque majeur d’incendie, en période estivale, les nuisances sonores engendrées par ce type de manifestation […] la consommation d’alcool et de stupéfiants”.
Un plus grand contrôle de l’État sur les médias.
Vous êtes également en faveur de la création d’un “ordre de la presse”. Pourquoi ?
Souvent, des problématiques de presse rejaillissent. Par exemple, qu’est-ce que le code de déontologie de la presse ? Est-ce que la femme d’un ministre peut présenter le journal télévisé ? La protection des sources… Des sujets reviennent, et le politique, qui n’a rien à faire là-dedans, s’en mêle.
Je considère que pour régler l’ensemble de ces problématiques, les journalistes gagneraient à s’équiper eux-mêmes d’un ordre avec des représentants de leur profession qui codifieraient ce qu’est la profession de journaliste, quel est son code de déontologie, etc… Ça permettrait souvent d’éviter que l’État ne se heurte aux journalistes.
Certes, il n’existe pas “d’ordre de la presse” comme le souhaiterait Sébastien Chenu. Or les trois chartes de déontologie journalistique suivies par le métier en France sont disponibles, par exemple, sur le site du Syndicat National des Journalistes (SNJ). S’y trouvent les réponses aux questions que le président de Clic se pose.
Pourtant vous défendez aussi l’idée d’une nomination de la tête des médias publics par l’État.
Parce que c’est l’État qui finance. Je suis pour la nomination dans les appareils publics de gens qui viennent du secteur public par l’autorité de tutelle qu’est la sphère publique.
Si l’État décide qu’il y a des chaînes publiques en France, qu’il en nomme lui-même le président en conseil des ministres, et qu’il arrête de se cacher derrière le CSA. Il doit assumer ses responsabilités. Si c’est une chaîne publique, c’est à l’État d’en nommer le président. La méritocratie doit aussi rentrer dans le monde de la culture. On ne nomme pas le président d’une chaîne de télé parce que c’est un pote.
On le voit avec Delphine Hernotte actuellement : la présidente de France Télévisions dont la nomination est remise en cause parce qu’elle connaissait un pote de telle personne… Ce serait bien plus simple qu’on nomme le président de la chaîne de télévision en conseil des ministres, sur proposition du ministre de la Culture et du premier ministre.
Et Laurent Ruquier qui squatte France Télévisions le samedi soir de 20h30 à 2h du matin, le même Laurent Ruquier qui a un invité politique chaque samedi et qui a dit “je n’inviterai jamais de gens du Front National“. Il n’y a pas un problème déontologique ? Ce serait une chaîne de télévision privée, tant pis. Mais là ce n’est pas le signe d’une démocratie qui se porte bien.
C’est encore une fois assez faux. Or l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couchés (puisque c’est d’elle dont il s’agit) est produite non pas par France Télévisions mais par Laurent Ruquier et Catherine Barma. Par ailleurs, le Clic s’indigne peut-être ici d’un manque de pluralité politique mais il s’étrangle littéralement de la diffusion unique de l’émission La Nuit du Ramadan (“payée par vos impôts”, n’est-ce pas) sur une chaîne de télévision publique qui diffuse tous les dimanche matins, rappelons-le, l’émission spirituelle chrétienne Le Jour du Seigneur. À vous de juger.
Selon vous, quelles seraient les premières réformes qu’il faudrait entamer dans le domaine de la culture ?
Dans l’ordre de priorité, il faudrait d’abord s’attaquer au statut des intermittents – cette patate chaude. Le problème n’est pas résolu depuis Jean-Jacques Ayagon, soit six ministres de la Culture qui se sont repassés le dossier des intermittents.
Pourquoi ce n’est pas résolu ? À cause de la politique du copinage, et parce que les grandes boîtes de production disent au ministre de la Culture que s’il modifie ce système, ça va coûter beaucoup de fric… Mais nous, au FN, on n’a pas d’ascenseur à renvoyer. On a pas d’entourage à arroser.
Ah, si c’était si simple. “Tête haute, mains propres”, clamait il y a encore peu de temps le Front National. Dommage que ça soit faux. Comme le rappelle cet article de Médiapart (en accès libre), de nombreux élus du FN ont eu leur lot de démêlés avec la justice, notamment pour clientélisme.
Il faudrait aussi entamer une réflexion sur la rémunération de l’auteur. Avec Internet, on voit bien que c’est évolutif et que demain, il faudra trouver des dispositifs pour permettre aux auteurs, et aux artistes, de continuer d’être rémunérés. Sinon, ça s’éteindra. Là on a un gros dossier qui devrait être prioritaire. Donc c’est finalement sur l’emploi culturel dans les deux sens – statut et rémunération – qu’on doit porter nos efforts pour l’instant.
Propos recueillis et vérifiés par Théo Chapuis et Maxime Retailleau